Aurore Sand

Pour remettre à Franck

Extrait.
Je regardais toujours le ciel les bruits cessèrent peu à peu dans la maison et je m'assis devant la lune qui monter derrière les arbres du parc.
Je passai peut-être une heure à revivre dans mes beaux souvenirs et plus la lune c'élevait, plus mon désespoir grandissait, repris de mes douleurs et de mes angoisses d'amour.
Ce qui me désespérait surtout, c'était cette solitude à jamais close sur moi, comme la tombe de ma chère aimée...

Aurore Sand.

La vie commande


Je suis descendu au salon, pour être encore presque dans le jardin, tant la beauté de la nuit est captivante aujourd'hui.
J'ai voulu lire je n'ai pu, et j'écoutais, j'écoutais le murmure d'une brise légère et tiède qui passe dans le jardin comme une haleine, le tic-tac de la pendule et le frisson des feuilles qui entourent la fenêtre.
Un grillon s'est mis à bruisser sa chanson dans la nuit, tant la nuit est douce, tant la terre est chaude.
On est bien dans le silence et dans la solitude.

Aurore Sand
 

George Sand chez elle


La fille du Maréchal de Saxe, Aurore, déjà veuve du Comte de Horn, épousa en seconde noce Claude Dupin de Francueil, Fermier Général de la province du « Berry et d'Albret ». Veuve une seconde fois, emprisonnée comme « noble », elle ne sortit de prison que grâce au 9 Thermidor. Elle connaissait le Berry, y ayant vécu avec son mari pendant quelque temps, au Château Raoul (Châteauroux), sa résidence. Elle cherchait à retrouver le calme et le repos dans la solitude, avec son fils Maurice Dupin, qui rêvait de s'engager dans la carrière militaire, comme son grand-père le Maréchal « Toujours victorieux ».

Mme Dupin de Francueil acheta donc, au cœur du Berry, le bon domaine de Nohant dont la construction féodale remontait à 1 393 ; mais ce château passant par différents propriétaires au cours des siècles, fut définitivement reconstruit sous Louis XVI et fut acheté au dernier possesseur, le Seigneur Pearron de Serennes, par Mme Dupin de Francueil (Aurore de Saxe) . Ce Pearron l'avait construit sur les restes du castel féodal. Aurore de Saxe, veuve de Francueil, dont le goût et la vie luxueuse s'accommodèrent de ce château simple mais élégant, dans le hameau paisible où elle voulait finir sa vie, s'y installa, fit abattre les murs qui masquaient la vue sur les prés et connut, dans sa demeure quelque temps de solitude et de repos, car Maurice, son fils, "guerroya" presque aussitôt qu'il put y avoir installé sa mère.

C'est en revenant de la guerre d'Espagne, où ce brillant officier était Aide de camp du Général Murât, que Maurice Dupin, après le retour de Madrid d'où il ramenait sa femme et sa fillette Aurore, fit une chute mortelle, sur la route de La Châtre à Nohant, projeté par son cheval Léopardo, magnifique don du roi Murât. Ce vaillant jeune homme, père d'une enfant de quatre ans, notre future et grande George Sand, trouvait la mort dans le calme Berry après avoir triomphé de tous les dangers d'une guerre à l'étranger.
Sa mère, sa femme et la fillette restaient à Nohant, dans la désolation.

Nous retrouvons donc, en visitant ce château, les souvenirs historiques du XVIII e siècle; cadre simple et élégant de pur style Louis XVI, avec un caractère nouveau que lui donna la plus illustre des romantiques.
Elle y vécut et écrivit, là, des chefs-d'œuvre. A la mort de Mme Dupin de Saxe, sa petite-fille Aurore hérita du domaine seigneurial; château et ses terres. Elle s'y installa, telle qu'était aménagée l'habitation. Elle dormit là où elle avait soigné, veillé sa grand-mère. Elle y eut d'abord les mêmes « gens » : le vieux précepteur Deschartres, qui lui avait voué le même attachement qu'à son jeune maître, autrefois, Maurice Dupin; puis bientôt Aurore se maria et Casimir Dudevant devint le maître de Nohant, avec Aurore. Deux enfants naquirent : un Maurice brun et beau, une fille rose et terrible, Solange.

Auprès du petit berceau de son fils, Aurore Dudevant, la nouvelle « Maîtresse » de Nohant, écrivait le soir, parfois la nuit quand dormait l'enfant, et souvent aussi Casimir qui rentrait après les travaux surveillés aux champs. Aurore rêvait, ouvrait ses vieux livres, lisait, se souvenait de sa vie de jeune fille, de ses amies du couvent des Dames Anglaises et leur adressait des lettres ainsi qu'à sa mère, logée à Paris, n'aimant pas vivre « au loin ». Elle leur contait les gentillesses de son petit Maurice. Sa vie conjugale, tout en étant toute d'affection, ne remplissait pas son existence. Rêvant d'un bonheur sans regrets avec un compagnon de goûts et d'éducation raffinée n'était pas dans la personnalité du jeune baron Dudevant; cette différence d'intellectualité, dont ils s'aperçurent très vite dès que leurs enfants, l'un après l'autre, furent entre eux, devint un sujet de fidélité, mais aussi un sujet de non-entente complète pour leur éducation.

Aurore Dudevant, trop au-dessus de son mari par la distinction héréditaire de sa famille, commença à languir, à dépérir. Elle fut emportée par son destin. Patiente cependant, attachée par l'amitié et par le cœur à son mari, il fallut que sa nature ardente et généreuse, l'indépendance de son esprit, cherchant l'absolu, la porta hors du nid qu'elle avait voulu fonder. Sa vie devait changer. D'accord avec Casimir, ils convinrent qu'elle irait à Paris et consentant à ne recevoir qu'une petite pension, sur sa propre fortune, que son mari lui servirait, elle promit de vivre la moitié de l'année à Nohant et l'autre partie à Paris pour y augmenter ses moyens. Son mari resterait à Nohant pour y gérer les biens, Maurice fut mis au collège et la vie de George Sand commença.

Mais, nous revenons avec elle, ici, dans sa demeure, sans nous attarder à Paris (où si souvent elle a changé d'appartements selon les nécessités de sa vie productive, si remplie d'activités diverses, morales, sociales, charitables et humanitaires toujours... ) .
Je voudrais que, comme moi, vous puissiez l'avoir vue aller de son pas feutré, assez rapide, lorsqu'elle montait le grand escalier où, enfant elle avait gambadé, où, plus tard, elle montait à sa chambre, un bougeoir à la main et de l'autre main, me soutenait... Sa voix était douce, un peu basse, ses beaux yeux très sombres, sa belle figure sérieuse, souvent pensive, s'éclairait parfois d'un sourire paisible qui indiquait l'harmonie faite en elle, après une vie de lutte et de courage ; car si George Sand a connu la célébrité et la gloire, elle était de la race des « victorieux » de son ascendance, avec aussi, la philosophie des sages qu'elle avait acquise. Elle marchait simplement dans la vie et dans sa vie, modeste, vêtue selon les exigences de son travail littéraire ou familial. Critiquée, lorsque vêtue d'une redingote d'homme, jeune et belle, elle vivait comme un étudiant, entourée de ses camarades d'enfance, dans les « places de parterre » pour applaudir Victor Hugo ou Alexandre Dumas, qui devinrent vite ses amis et ses admirateurs.
Si quelques esprits récalcitrants aux libertés que cette jeune femme semblait afficher sans s'occuper de l'opinion, ses lectrices, ses lecteurs, touchés au cœur, lisaient ses romans avec passion. Combien a-t-elle fait et écrit pour les libertés que les lois permettent aux femmes d'aujourd'hui, et pour l'égalité que George Sand demanda la première, au risque de sombrer dans ses revendications pour l'avenir... Guerrière comme sa "race", mais guerrière pacifique, George nous a toutes aidées et libérées d'injustices légales ou périmées aujourd'hui.

Mère de deux enfants nourris par elle, mère intelligente et éducatrice, elle se consacra à leurs études en les conservant chez elle autant qu'elle le put. C'est son travail qui leur permit de vivre selon leurs goûts ou leurs aptitudes.
Maurice lui ressemblait dans tous ses dons, avec une nature plus calme et portée du côté humoristique de l'esprit. L'une et l'autre, vécurent toujours unis sans se nuire jamais et en collaboration intellectuelle toujours. Tous deux voués à l'Art, ils étaient « compagnons » dans le travail, chacun gardant son individualité propre. Créateur littéraire lui-même, Maurice s'intéressait aux sciences naturelles en observateur savant qui l'orientait vers la géologie et l'entomologie et la recherche passionnée de l'humanité antique et moderne. Son amour de la nature s'attachait et l'attachait à tout ce qui vivait ou avait vécu. Il reconstituait, par ses œuvres, la vie humaine, tout le long de l'Histoire, comme celle de la terre depuis la Création. Véritable magicien, il plongeait ses regards curieux dans le passé; dans le passé d'hier, dans l'avenir de demain. Son éducation picturale, faite par Delacroix, le fixa dans une originalité éclectique, mais individuelle et vivante dans ses plus attachantes évocations.

Dans ses collections faites de ses recherches, de ses découvertes, de son amour des choses, des bêtes et de toute vie terrestre, il trouva un amusement constant dans le travail. Prêtre de la Création, comme sa mère, artiste, enfant, sage, et philosophe, il savait rire de son prochain, sans lui nuire, en le divertissant, Maurice Sand personnifiait en sa seule personnalité « plusieurs hommes distingués » comme l'a si bien dit Taine.
Maurice Sand fut un grand artiste, un Prince de la vie. Ses dessins, ses tableaux, ses célèbres marionnettes sculptées par lui, son érudition en toute science, faisait de lui une figure unique et adorée de sa mère dont il fut la consolation constante et le collaborateur modeste ; fils digne d'une telle mère, tel était cet homme de talent resté à l'ombre par son amour filial.

La visite du Château de Nohant.


Nous entrons par la grille du château à l'ombre d'un très vieil orme, en face de la petite église romane dont l'intérieur, blanchi à la chaux, contient encore des souvenirs : la copie par Maurice Sand, d'un tableau d'Eugène Delacroix, fait à Nohant : « l'Education de la Vierge », et quelques meubles donnés à l'église par Lina Sand ayant appartenus à sa mère, Mme Calamatta. C'est encore Lina qui fit don de la cloche que l'on nomma « Joséphine » (du prénom de sa mère qui appartenait à un Tiers Ordre religieux) .
La cour d'entrée était plantée d'arbres à fleurs : acacias, lilas judée, Sainte-Lucie. Au milieu, a grandi un jeune if qui gêne de son ombre des seringas et des rosiers. Les Remises, à gauche où restent quelques voitures, offrent l'intérêt d'une pompe à incendie, alors que Maurice créa (chez sa mère) un « corps de pompiers » qu'il organisa et fit manœuvrer. Il sauva ainsi plusieurs maisons de la commune de Nohant-Vic. En suivant l'ordre de la visite, nous pénétrons dans le château; un regard rapide nous permet d'y admirer le développement harmonieux de l'escalier qui monte en courbe élégante au premier étage. Par une porte à double battant, on pénètre dans la salle à manger toute en boiserie peinte en gris clair. Au milieu, une table ovale ; le couvert est mis, avec la vaisselle dont se servait George Sand. Autour de ces objets se sont assis de grands et chers amis, le fils, Maurice, sa femme Lina et les deux petites-filles qui faisaient la joie de tous. A droite le salon où sont les portraits de famille et les très beaux meubles des Dupin de Francueil ; nous remarquerons la harpe d'Aurore de Saxe, dont apprit à « toucher » Aurore Dupin, jeune fille, dont les petites mains douces devaient écrire des chefs-d'œuvre. Tous les portraits ressortant sur le papier de tenture de l'époque, le piano droit, vendu par Pleyel à George Sand (après le départ de Chopin avec son piano personnel) , quelques beaux petits tableaux de Maurice Sand; son portrait et celui de Solange, la fille cadette, chargée d'un caractère qui fit souffrir tout le monde de la maison — par le peintre Auguste Charpentier : tous ces visages qui nous regardent passer depuis celui d'Aurore de Kcenigsmarck, mère du Maréchal, ceux d'Aurore de Saxe, épouse de Dupin de Francueil et celui du Maréchal de Saxe, en uniforme et cuirasse. Les beaux meubles de Jacob, autour de la table faite par un menuisier du pays berrichon, si souvent entourée par les amis célèbres, en séjour chez George Sand et traversant la salle à manger qui donne sur la " terrasse " du jardin nous entrons dans la chambre de la maîtresse de maison : Mme Dupin de Francueil, la grand-mère de George Sand, chambre et boudoir communiquant, qui furent occupés, après sa mort, par Aurore Dupin sa petite-fille, devenant l'héritière du château et du domaine de Nohant. Peu de temps après la mort de sa grand-mère, Aurore Dupin ne tarda pas à se marier et son mari s'installa avec elle dans la maison familiale.
Au fond du petit couloir sombre qui s'ouvre sur le vestibule, se trouvent les deux théâtres. Ces deux scènes ont été prises sur deux chambres : l'une dont la voûte rappelle qu'au temps de l'ancien propriétaire, Pearron de Serennes, rebâtissant le château sous Louis XVI, y avait ménagé une chapelle. C'est dans cette salle que la merveilleuse petite troupe des marionnettes a évolué au bout des doigts de Maurice Sand, leur créateur. Elles attendent aujourd'hui, alignées dans un placard, les bravos des visiteurs, n'ayant plus pour les faire vivre, l'âme qui les animait.

En montant l'escalier, deux bustes arrêtent le regard : celui de la célèbre cantatrice « La Malibran », couronnée de lauriers, et quelques marches plus haut, le buste de George Sand fait après sa mort par le sculpteur Aimé Millet, d'après les photographies de Nadar et les divers portraits, d'après nature, des contemporains de la célèbre romancière.
Au premier étage, le long couloir donne accès aux habitations. Eclairé par deux fenêtres à chaque extrémité, à l'est sur le jardin potager, à l'ouest sur la cour de la ferme bornée par les étables, la grange et les écuries, cette partie du domaine, pour ainsi dire unie au château, que conserva toute sa vie George Sand, nous montre de manière révélatrice combien elle était fidèle aux traditions de sa grand-mère; simple « maître » et bienfaisante « Bonne dame », elle était pourtant la célèbre George Sand.

Mais tout n'est pas encore visité dans cette maison où l'Art jaillit comme d'une source à tous les étages. Le long des murs du couloir, sur deux files, des dessins d'après nature, de Maurice Sand reproduisent les promenades de George Sand aux environs.

Un escalier raide nous conduit à l'atelier de Maurice Sand. Trois portes s'ouvrent : Tune pour y voir un amas extraordinaire de costumes et d'accessoires de toutes sortes, rangés sur des étagères, des rayonnages et des meubles bas, ou des coffres, qui recellent tout ce qu'il a fallu confectionner pour servir les pièces du théâtre de George Sand et celles improvisées, sur canevas ou scénario, par Maurice. Perruques, galons, lingerie, passementerie ors et argents, ustensiles, tout y était et y est encore. Là s'alignent des chaussures : bottes, sabots de bois, chaussures de cuir, guêtres et souliers de satin, et au-dessus de tout ce fourniment, des chapeaux de tout style, de toutes les époques, ornent pour ainsi dire les parois du mur, en guirlandes pittoresques

. Combien de peintres devant de telles « natures mortes » se sont extasiés devant des objets qui ont paré les artistes qui riaient ou pleuraient sous ces ornements dans leur existence impersonnelle!
Une autre porte s'ouvre sur le petit couloir; elle nous fait entrer dans le « magasin des décors » où le garde-meubles contient, à côté des malles, les objets du théâtre des marionnettes : « les petits personnages ». Ce poêle, ou réchaud, près d'une fenêtre, adossé au mur, est de forme simple ; c'est l'instrument nécessaire pour chauffer la colle... Une vingtaine de pots de terre sont alignés sur des rayons et contiennent les poudres destinées aux décors qui seront portés dans le grand atelier de Maurice. Là, de ses grandes « brosses » il badigeonnera savamment et hardiment les « toiles de fond » et les coulisses. Et puis il y a encore, et toujours, d'autres découvertes à faire dans cette maison enchantée. Objets qui ne servent plus mais qui sont la preuve d'une vie intense et continue, celle d'une existence exceptionnelle, vouée à l'adoration par une famille éprise d'amour pour la Beauté... Tout nous rappelle que rien n'est mort et ne peut mourir dans ce temple de l'Art.

Tout évoque les réunions où les écrivains, les peintres : Delacroix et tant d'autres, les musiciens : Chopin et Liszt, s'asseyaient et écoutaient chanter Mme Viardot ou déclamer les romanciers qui venaient lire leurs oeuvres à la maîtresse de maison.

Presqu'aussitôt que George Sand porta ses romans aux théâtres de Paris, l'idée lui vint d'essayer ses pièces sur une scène, construite à Nohant. Maurice avait déjà bâti une sorte de guignol transportable du salon de Nohant, à Paris, dans son atelier, pour les marionnettes qu'il sculptait, avec un art véritable. Le corps était fait d'un fourreau de gros « droguet », les costumes étaient confectionnés par George Sand. Ce petit théâtre nommé : celui des petits personnages, fut tellement perfectionné qu'il devint un véritable chef-d'œuvre. Maurice l'animait, après l'avoir créé de sa verve drolatique. Ses représentations dont le texte et le jeu étaient fournis par lui seul, eurent un succès complet.
Le théâtre des Grands Personnages devint l'étude et le travail sur scène des pièces que George Sand présentait ensuite aux directeurs des théâtres de Paris, de sorte que la maison était transformée et bouleversée par les acteurs et l'amusement qu'en éprouvait la réunion; l'auteur : Mme Sand; Maurice et ses amis les interprètes.
Tous travaillaient avec joie et ardeur. Acteurs ou écrivains qui venaient à Nohant apporter l'hommage de leur admiration, souvent y trouvaient réconfort et espoir pour eux-mêmes.
George Sand avait connu, pourtant, les déceptions du cœur et les ingratitudes humaines, mais elle était une « Force » qui donnait courage et espérance à ceux qui en avaient besoin, pour réussir et triompher. Les femmes écrivains, tout en la jalousant peut-être lorsqu'elles parlaient de cet être exceptionnel qu'était George Sand, la nommaient : La Reine.
Mais si le théâtre de Nohant avait été pour ainsi dire ébauché par des charades, dans le salon (vers 1845) il se produisit un temps d'arrêt pendant la période qui suivit : la révolution de 1 848 coupa court aux divertissements. George Sand se rendit à Paris pour y collaborer avec ses amis politiques aux jours de la République naissante. Son cœur fraternel, donné à tout élan généreux, son idéal de Paix et de liberté lui donna un moment d'enthousiasme et d'immense espoir.

Ses amis politiques qui, comme elle, avaient pris parti furent exilés.

C'est alors que se rapprochant de la famille de Napoléon III, avec lequel il s'était établi une correspondance où l'on peut retrouver les idées sociales du futur empereur avec celles de George Sand, elle implora sa clémence pour sauver les exilés. Il me faut aussi mentionner la sympathie réciproque de mon illustre grand-mère pour le Prince Jérôme Napoléon, dont la conception politique sociale se rapprochait de l'idéal de George Sand.
Par l'influente amitié qu'elle prit auprès du Prince, elle sauva tous ceux qu'elle put de l'exil et de la misère. Sa vie ne s'arrêta pas dans le nouveau drame de 1 870, après celui de 1848. Soucieuse et maternelle, mère et grand-mère, Mme Sand restait l'illustre romancière et toujours, la généreuse femme, et la « Bonne Dame » de Nohant. Suivant le cours de sa vie, avec ses élans, son cœur, son travail, son idéal et son amour pour toute créature, elle créa encore un chef-d'œuvre au théâtre : Claudie. Son Berry, qu'elle prenait pour cadre d'un drame naturel et souvent sans solution, elle en indiqua les remèdes dans François le Champi et dans Claudie.

Toute sa vie, George Sand donna généreusement; elle soutint ceux qui cherchaient avec force et courage à s'élever. Elle fut simple et grande, constamment, partout et toujours.
Lorsqu'elle perdit la vie, ce trésor qu'elle portait en elle, cet idéal de bonté, de noblesse et de charité qui avait guidé sa vie, elle l'emporta dans l'Inconnu et le donna encore par son œuvre, pour que ceux qui l'avaient aimée, puissent continuer à l'aimer et à suivre la belle route qu'elle avait tracée.

Suivons-la.

Si le temps et le gardien le permettent, demandez à entrer au jardin, après la visite des tombes.
Ce petit cimetière de famille a été pris sur la terre du jardin par Mme Dupin de Francueil, pour y ensevelir son fils sous un tertre garni de lierre. Un if abrite à présent tous ceux qui ont été dormir sous son ombre. Sa voûte de verdure sombre semble le dôme d'une chapelle naturelle.
La tombe qui recouvre notre grande morte fut apportée d'Auvergne. Elle est en lave provenant des anciens volcans de Volvic (Auvergne). Maurice n'en pouvait trouver une plus belle, ni de plus symbolique de la nature expansive et ardente de sa mère vénérée.
C'est au-dessus de cette pierre grise, dans les ramures que les merles viennent chanter au printemps et picorer les baies rouges du vieil if dont les racines bossellent la terre et bousculent les morts qui dorment là dans la paix... et dans l'éternité.

Rien n'est triste ici; George aimait les fleurs, les oiseaux, la musique et toute la nature. Ses contemporains, à l'époque romantique, nous ont dit dans leurs mémoires, qu'elle habitait soit rue Pigalle ou le « square d'Orléans », ou son appartement était garni de meubles en chêne sculpté et toujours orné de fleurs fraîches. Rue Pigalle les tentures et les rideaux étaient de couleur « brune »; son lit était un simple matelas posé sur le plancher. Elle aima les fleurs jusqu'à devenir un botaniste savant. Cependant elle resta femme pour parer sa magnifique chevelure de fleurs du jardin ou de celles des champs, comme nous le montre le peintre Auguste Charpentier dans son portrait (1838).

Le jardin, l'ancien jardin que sa grand-mère avait tracé et réglé à la mode de son temps, George lui en laissa la symétrie et l'agencement mais lui donna une physionomie plus large et plus intime en même temps, qui porte bien la marque du romantisme. Plus tard, Maurice y importa des pins et des arbres exotiques qui ont rivalisé avec les deux grands cèdres que George Sand avait fait planter devant sa demeure, à la naissance de ses deux enfants : Maurice et Solange. Deux hauts et superbes sapins dominaient alors toute la contrée et indiquaient, par leur taille, à dix lieues à la ronde, la demeure enchanteresse.

La « terrasse », petit espace sablé, devant le château, au midi, était ornée de caisses en bois peintes en vert, où fleurissaient les orangers, les grenadiers, la citronelle, le camphrier et le fucschia à petites fleurs, qu'avait apporté Delacroix, lors d'un séjour à Nohant. Si tous ces arbustes ont pu vivre à Nohant, c'est grâce aux serres que notre grande Sand avait fait bâtir. Accolée à la maison, à l'ouest, « l'orangerie » était remplie, pendant l'hiver, de lourdes caisses contenant les plantes frileuses, dont le jardinier, Renaud, entretenait jour et nuit la même température, grâce au poêle à bois construit en maçonnerie.
Dans le jardin potager, contre le mur de clôture qui recevait les premiers rayons du soleil, en mars, une grande serre contenait les plantes vivaces et une autre, petite et bien close, était la serre aux fougères et aux plantes tropicales. Elle était la préférée, peut-être, de George Sand. Elle y entrait avec précaution, comme dans un lieu secret et chéri. Il se dégageait de ce petit coin de verdure une odeur pour ainsi dire humide, fraîche et douce comme une caresse rare. George Sand y restait peu et me disait : «Viens, il ne faut pas troubler leur air. »

Mais une autre merveille naquit, à quelques centi- mètres du sol creusé : une serre destinée à faire pousser et fructifier des ananas... en plein Berry...
Ils poussèrent si bien et donnèrent de si bons fruits que le jardinier, Renaud, avec la permission de George Sand, en transporta quelques-uns à la ville voisine et n'en put placer aucun aux amateurs de carottes et d'artichauts qui, ne connaissant pas « cette denrée », ne s'aventurèrent pas à y goûter!...
C'était sûrement une « chose bien surprenante » que la prudence devait écarter!
Encore une création de cette maison enchantée!

Aurore SAND.
 
Le Berry de George Sand
Le Berry de George Sand
par Aurore Sand
Coll.privée
Autographe de Aurore Sand
Autographe d'Aurore Sand
Nohant 1959.
Coll.privée

Le Berry de George Sand par Aurore Sand


George Sand habita successivement les différents appartements de la maison.
D’abord, avec son mari, celui de sa grand-mère Mme Dupin de Francueil, au rez-de-chaussée, puis celui au-dessus, et enfin, toujours sur le jardin, au midi, l’appartement de droite. C’est dans celui-ci qu’elle mourut .
La chambre était tendue d’un papier à fond bleu sur lequel des médaillons gris représentent une bacchante et un petit faune . Les rideaux du lit, ceux des fenêtres et des portières sont en cretonne du même dessin et de même couleur.
Ce bleu robuste étonne au premier moment avec sa décoration de style Directoire, mais sans doute, ce style même rappelle à ma grand-mère des souvenirs d’enfance.
Son lit est simple, en noyer: dans un angle . Près du lit, une chaise basse recouverte de même étoffe que le reste de l’ameublement, ainsi que trois fauteuils à médaillon et une petite bergère . Au milieu, une table recouverte d’un tapis de drap brodé . En face de la cheminée, le grand canapé-lit où je dormais de temps à autre . Près de la fenêtre une commode «demi-lune» Louis XVI, qui lui fut donnée par Chopin . A droite, à côté de la cheminée, un secrétaire Louis XVI, très simple, très pur de style, dans lequel George Sand mettait ses bijoux. Au-dessus est suspendu le violon de Maurice Dupin au son duquel elle naquit. A gauche, un petit chiffonnier en marqueterie de couleur, et sur ce joli petit meuble, une boîte indienne . Sur la table, le coffret à bijoux d’Aurore de Saxe à ses armes(les deux flèches croisées de Saxe).
Sur la cheminée, une pendule, deux potiches de Chine, deux chandeliers et deux statuettes en plâtre. Aux murs sont les portraits et les gouaches du temps de la grand-mère.
Au dessus de la cheminée, c’est le portrait du maréchal, pastel par La Tour, avec son bon sourire et ses yeux clairs. A droite c’est un dessin : Le maréchal à cheval. A gauche, un pastel : Aurore de Saxe assise dans un jardin avec son fils Maurice, enfant. Puis Mme Maurice Dupin dessinée par sa fille George Sand, Maurice Dupin dessiné par le général Lejeune, un autre dessin de George Sand représentant Maurice Sand enfant, en costume militaire, avec une inscription, et des photographies de mon père, de ma mère, de ma soeur et de moi. Sous verre, des herbes séchées envoyées pour la fête par son vieil ami « Chrisni », d’autres encore, portant cette inscription de sa main : « Fontainebleau, août 1837 », une esquisse et le daguerréotype de Nini, la fille de Solange Clésinger, que George Sand a tant aimée.
Sous verre encore, un morceau du papier qui ornait la chambre voisine de celle de ma grand-mère, habitée par Chopin avant d’être transformée en bibliothèque.
Enfin, cette chambre pleine de souvenirs était un endroit paisible, élégant et bien rangé.***
George Sand se coiffait devant la fenêtre, assise à une table surmontée d’un petit miroir à pied. Que de moments j’ai passés, pendant qu’elle tordait ses cheveux, près d’elle, sur un coffret recouvert de sparterie où étaient ses dentelles ! Que de fois, à côté d’elle, penchée au-dessus de la commode, j’ai senti l’odeur fine du petit pot rempli d’une pâte musquée qu’elle tenait de sa grand-mère, et qu’elle conservait dans son linge !...
Ce que je connaissais bien, c’était la boîte indienne . J’ignore ce qu’elle contenait, et tout son attrait consistait dans la serrure . La clé en tournant faisait grincer bizarrement deux notes. Elles étaient plaintives, étranges . . . Cette boîte est encore là, il m’arrive encore d’en tourner la clé pour entendre ce petit bruit évocateur, triste et doux . . . mais je n’entends plus la voix chérie me répondre comme autrefois lorsque je lui demandais d’y toucher: « Oui, mon trésor ! »

Aurore Sand
***Cette description de la chambre de George Sand a été faite en un temps déjà éloigné de notre époque : il ne faudrait donc pas y chercher un inventaire de l’état actuel. En particulier, la commode de Chopin est maintenant à Majorque.
 
Journal Intime George Sand
La pré-édition du Jounal Intime, avec les corrections manuscrites d'Aurore Sand. Coll.privée.

Journal intime

(Posthume)
Rédigé en 1834 par George Sand, publié en 1926 chez Calmann-Lévy, éditeur par Aurore Sand, sa petite fille.
Entretiens journaliers avec le très docte et très habile Docteur Piffoël.

On ne fait un journal que quand les passions sont éteintes ou qu'elles sont arrivées à l'état de pétrification qui permet de les explorer comme des montagnes d'où l'avalanche ne se détachera plus. Faire un journal c'est renoncer à l'avenir.
George Sand.
Livre journal intime
Edition originale du Journal Intime
Edition originale. Coll privée.
 
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