Indiana
J'ai écrit Indiana durant l'automne de 1831.C'est mon premier roman ; je l'ai fait sans aucun plan, sans aucune théorie d'art ou de philosophie dans l'esprit.
J'étais dans l'âge où l'on écrit avec ses instincts et où la réflexion ne nous sert qu'à nous confirmer dans nos tendances, naturelles.
On voulut y voir un plaidoyer bien rémédité contre le mariage. Je n'en cherchais pas si long, et je fus étonné au dernier point de toutes les belles choses que la critique trouva à dire sur mes intentions subversives.
La critique a beaucoup trop d'esprit, c'est ce qui la fera mourir. Elle ne juge jamais naïvement ce qui a été fait naïvement. Elle cherche, comme disent les bonnes gens, midi à quatorze heures, et a dû faire beaucoup de mal aux artistes qui se sont préoccupés de ses arrêts plus que de raison.
George Sand
Indiana est un roman de George Sand paru le 19 mai 1832 chez J.-P. Roret (Paris). Il s’agit de la première œuvre que George Sand rédigea seule et publia sous ce pseudonyme (G. Sand dans l’édition de 1832). Il développe une intrigue amoureuse, mais aussi une étude sociale et une étude de mœurs. Son personnage principal est une jeune femme, Indiana : lassée par un mari antipathique et autoritaire, elle est courtisée par un jeune homme, Raymon de la Ramière, qui n’est lui-même qu’un séducteur peu fiable. Indiana fait ainsi partie des romans féministes de George Sand au sens où il dénonce les conditions de vie peu enviables des femmes en France à une époque récente. L’action se déroule à la fin de la Restauration et au début de la monarchie de Juillet, en Brie et à Paris, ainsi que, à la fin, dans l’île Bourbon (ancien nom de l’île de La Réunion). Indiana rencontre un grand succès auprès du public et de la critique dès sa parution et permet à George Sand d’entamer sa propre carrière littéraire.
Le marquis de Villemer
La vieille marquise de Villemer a deux fils : l’un, le duc d’Aleria, né d’un premier mariage malheureux avec un noble espagnol, l’autre, le marquis de Villemer, né d’une seconde et plus heureuse union. Quand une jeune fille, noble mais pauvre, Caroline de Saint-Geneix, entre chez la marquise comme dame de compagnie; les deux frères subissent également son charme. Mais une fausse amie de Caroline la calomnie auprès de la Marquise, l’accusant d’entretenir une relation avec le duc.Laura, voyage dans le cristal
Préface de Laura, voyage sans le cristal, dans l'édition originale car à la suite du décès du petit Marc Antoine, la préface sera retirée.A Madame Maurice Sand,
Ma chère fille, je te dédie ce conte bleu, qui te rappellera les sermons que nous fait ton mari quand nous laissons émerveiller par la beauté des échantillons de minéralogie, au lieu de le se livre exclusivement dans l'étude des formations géologiques.
Dans quelques années, ton fils, qui fait aujourd’hui de plus beaux rêves dans son berceau que moi devant mon encrier, lira ce conte, et il y prendra peut-être le goût des recherches ou des hypothèses sérieuses. Il n’en faut pas d’avantage à ceux qui sont bien disposés à connaître et à comprendre.
C’est toute l'utilité que peut offrir ce genre de fictions aux enfants et à beaucoup de grandes personnes.
George Sand,à Nohant le 1er décembre 1863.
Impressions et souvenirs
Il y a des heures ou je m'échappe de moi, ou je vis dans une plante, ou je me sens herbe, oiseau, cime d'arbre, nuage, eau courante, horizon, couleur, forme, et sensations changeantes, mobiles, indéfinies; des heures ou je cours, où je vole, ou je nage, ou je bois la rosée, ou je m'épanouis au soleil, ou je dors sous les feuilles, ou je plane avec les alouettes, ou je rampe avec les lézards, ou je brille dans les étoiles et les vers luisants, ou je vis enfin dans tout ce qui est le milieu d'un développement qui est comme une dilatation de mon être.Je vis dans les arbres, dans les bruyères, dans les sables, dans le mouvement, et le repos de la nature.
George Sand, extrait de impressions et souvenirs.
Cette faculté de se dédoubler, de vivre en dehors de soi, c'est la un don merveilleux et qui fait le vrai poète, George Sand le possédait à un haut degré.
George Sand
La reine Coax
À mademoiselle Aurore Sand,Puisqu’à présent tu sais lire, ma chérie, je t’écris les contes que je te disais pour t’instruire un tout petit peu en t’amusant le plus possible.
Tu apprends ainsi des mots, des choses qui sont nouvelles pour toi. Je me décide à publier un de ces contes pour que d’autres enfants puissent en profiter aussi : leurs parents ne m’en sauront point mauvais gré.
Ta grand-mère.
Un petit extrait : ...Alors il se fit un grand silence, toutes les bêtes cessèrent de remuer, le soleil se voila de nouveau, et, les roseaux s’écartant comme si ce fût sous les pas d’une personne, Marguerite vit apparaître en face d’elle une superbe grenouille verte tigrée de noir, mais si grosse, si grosse, qu’elle n’en avait jamais vu de pareille, et qu’elle en eut peur.
– Ne crains rien, si tu as de bonnes intentions, lui dit la grenouille d’une voix qui résonnait comme un battoir ; sache que, si tu es une petite demoiselle assez puissante sur cette terre, je suis, dans ces eaux et dans ces herbes, une grande reine omnipotente, la reine Coax.
George Sand
Maître Favilla
Drame en trois actes et en prose, représenté pour la première fois le 15 septembre 1855 au Théâtre de l’Odéon de l'Europe, première représentation de Maître Favilla de George Sand avec Rouvière dans le rôle de Maître Favilla et Marie Laurent dans celui de Marianne.br /> Distribution : 5 hommes, 2 femmes.Le bourgeois Keller hérite du chateau de Muhldorf, qui appartenait à son oncle, mort sans testament.
Il s’y rend avec son fils et découvre Maître Favilla, un musicien rêveur et un peu fou, un ami du défunt qui s’est installé avec sa famille dans le chateau et qui est persuadé d’être l’héritier.
La famille de Favilla demande à Keller de le ménager le temps qu’il recouvre ses esprits.
Le fils de Keller tombe amoureux de la fille de Favilla…
Autour de la Table
Quelle table ? C'est chez les Montfeuilly qu'elle se trouve ; c'est une grande, une vilaine table. C'est Pierre Bonnin, le menuisier de leur village, qui l'a faite, il y a tantôt vingt ans. Il l'a faite avec un vieux merisier de leur jardin. Elle est longue, elle est ovale, il y a place pour beaucoup de monde.Elle a des pieds à mourir de rire ; des pieds qui ne pouvaient sortir que du cerveau de Pierre Bonnin, grand inventeur de formes incommodes et inusitées. Enfin c'est une table qui ne paie pas de mine, mais c'est une solide, une fidèle, une honnête table, elle n'a jamais voulu tourner ; elle ne parle pas, elle n'écrit pas, elle n'en pense peut-être pas moins, mais elle ne fait pas connaître de quel esprit elle est possédée : elle cache ses opinions.Si c'est un être, c'est un être passif, une bête de somme. Elle a prêté son dos patient à tant de choses ! Écritures folles ou ingénieuses, dessins charmants ou caricatures échevelées, peinture à l'aquarelle ou à la colle, maquettes de tout genre, études de fleurs d'après nature, à la lampe, croquis de chic ou souvenirs de la promenade du matin, préparations entomologiques, cartonnage, copie de musique, prose épistolaire de l'un, vers burlesques de l'autre, amas de laines et de soies de toutes couleurs pour la broderie, appliques de décors pour un théâtre de marionnettes, costumes ad hoc, parties d'échecs ou de piquet, que sais-je ? tout ce que l'on peut faire à la campagne, en famille, à travers la causerie, durant les longues veillées de l'automne et de l'hiver. La table du soir (c'est ainsi qu'on la nomme, parce que, durant le jour, chacun vaquant à ses occupations ou courant à sa fantaisie, elle reste seule et tranquille dans le salon) a donc, chez les Montfeuilly, un rôle assez important. Que ferait-on sans elle, bon Dieu, même tes soirs d'été, quand l'orage emplit le ciel et que la pluie précipite au dedans de la maison les hôtes et les papillons de nuit ? Alors chacun apporte son travail ou son délassement, et on se querelle, on se pousse, on se serre pour que tout le monde tienne sur la grande table. On a quelquefois parlé d'en avoir plusieurs petites, mais la grand'mère, LouiseI de Montfeuilly, qui est le chef actuel de la famille, a repoussé cette innovation perverse. Elle a bien fait ; où serait la vie, où seraient l'attention, l'enjouement, l'union, l'unité dans ces travaux ou dans ce s amusements éparpillés, la nuit, dans une vaste pièce ? La grande pièce réunit toutes les études et toutes les pensées, elle en est le centre et le lien.Elle est à la fois la classe et la récréation de la famille, l'harmonie et l'âmede la maison. C'est un sanctuaire d'intimité, c'est presque un autel domestique, et la grand'mère dit souvent : «Le jour où la table sera au grenier et moi à la cave, il y aura du changement ici.»Mais le plus grand charme de la table, c'est la lecture en commun, à tour de rôle. Si peu qu'on ait de poumons, on peut bien lire chacun quelques pages, et l'on n'exige du lecteur aucun talent : on est si habitué au bredouillage de l'un, aux lapsus de l'autre, que l'on ne s'arrête plus à se railler ou à se quereller. Je connais peu de plaisirs aussi doux, aussi soutenus, aussi attachants que celui d'avoir les mains occupées d'un travail quelconque, pendant qu'une voix amie (sonore ou voilée, peu importe !) vous fait entendre simplement, sans emphase et sans prétention, un beau et bon livre. Le feu pétille dans l'âtre. Le vent chante dans les arbres ; les phalène son la grêle battent les vitres ; quelque cri-cri familier vient, aux jours d'hiver, jusque sous la table, comme pour applaudir à sa manière, et personne n'ose remuer, dans la crainte d'écraser l'hôte menu et confiant du foyer. Le papier se couvre de dessins ou de peintures ; le canevas, la mousseline ou la soie se remplissent de fleurs ou d'arabesques, et si quelque pas inusité se fait entendre dans la salle voisine, si une main incertaine cherche à ouvrir la porte, on tressaille, on se regarde consterné, on redoute l'arrivée d'un étranger, d'une conversation quelconque venant interrompra la lecture chérie. Mais, grâce au ciel, les Montfeuilly ne sont point gens du monde ; c'est presque toujours un bon voisin, un ami qui vient nous surprendre.
George Sand ou LouiseI de Montfeuilly ?
Histoire du Rêveur
Deuxième partie, Le grillon
- Qu'as-tu, créature mortelle, me dit un soir le bon Tricket, je ne te reconnais plus. D'où vient cet air sombre et abattu ? Quel malheur t'a donc frappée ? quelque argent mal employé, dissipé, perdu ? quelque mortification du sot amour-propre, car, vous autres, voilà vos affaires dans la vie. L'or et la vanité, c'est de quoi vous arracher des larmes et déchirer vos coeurs.
- Injuste ami, lui dis-je, quel plaisir prends-tu à humilier le genre humain dans ma personne, quand tu sais si bien que je n'ai pas l'esprit d'occuper ma vie avec les passions qui remplissent celle de mes semblables ? Un chagrin véritable flétrit mon coeur dans ce moment, et quand je t'en aurai fait le douloureux récit, tu pleureras avec moi.
- Voyons donc, dit Tricket, en s'appuyant sur le lumignon de ma lampe, conte-moi cela.
- Je vais te le lire, lui dis-je.
- Pouah ! dit Tricket ! de la douleur écrite ! ça ne vaudra pas le diable.
- Il ne s'agit pas de ce que tu crois : ce que je vais te lire est tout simplement ma lettre, que j'écris à Jane.
- A Jane ! dit Tricket. Ah ! quand donc le Grand Pouvoir qui dispose de moi m'enverra-t-il habiter le cerveau d'un être comme Jane ?
- C'est trop d'ambition pour toi, petit Tricket ; tu n'y gagnerais au reste pas tant que tu crois, car, avec moi, quelque fou que tu sois, tu conserves toujours une certaine supériorité de raison et de science qui me rend sensible à tes remontrances, au lieu qu'avec Jane tu serais si peu de chose ! Esprit fantasque, tu règnes ici, contente-toi de ma société.
- C'est bon, c'est bon, dit Tricket, mais je ne puis sans soupirer me rappeler Jane aux cheveux noirs, au long regard, à la voix douce, au sourire caressant ; cette créature n'est pas de la même argile que vous, ma chère.
- Aussi, Tricket, mon amitié pour elle est une sorte de culte. Mais écoute ma lettre et sache auparavant que Jane m'ordonna un jour de lui écrire un gros volume sur tel sujet qui me plaisait. Je commençai. Je n'achevai pas.
- C'est pour ne pas changer d'habitude, dit Tricket.
- Sans doute ; maintenant, je tâche d'éluder sa demande, en lui soumettant toutes les difficultés qu'entraîne son exécution.
George Sand
Théâtre Complet, quatrième série.
Regardez, à l’heure où le jour baisse, le mouvement qui se fait dans tous les grands centres de population. La journée de travail est finie pour les uns ; la journée d’oisiveté est finie pour les autres. Tous achèvent leur repas somptueux ou modeste, et, chaque soir, dans une ville comme Paris, une moyenne de vingt-cinq à trente mille personnes, si je ne me trompe, s’achemine vers les vingt-cinq ou trente théâtres qui s’apprêtent à les occuper ou à les distraire pendant quatre ou cinq heures. Il en a été ainsi la veille, il en sera de même le lendemain. Peu à peu, la majeure partie de la population intelligente, qu’elle paye ou entre par faveur, vient prendre place sur ces fauteuils ou sur ces banquettes, devant ce rideau qui va se lever entre des êtres distraits de leur vie réelle et des êtres consacrés à représenter les scènes d’une vie fictive. C’est le tiers de la journée qui va s’immobiliser, s’oublier, s’anéantir devant une action scénique quelconque, c’est-à-dire devant un rêve.George Sand, extrait de la préface de la pièce Comme il vous plaira, edition M.Lévy Fréres 1867.
Journal Intime
L'homme se sait nécessaire à la femme. Il a trop d'imbécile confiance et, soit cupidité, soit galanterie, soit vanité, la plupart des femmes sont trop intéressées par leur amour pour qu'il ne s'arroge pas un pouvoir despotique sur elles, dans l'amour, comme dans la haine.
La femme n'a qu'un moyen d'alléger son joug et de conserver son tyran, quand son tyran lui est nécessaire : c'est de le flatter bassement. Sa soumission, sa fidélité, son dévouement, ses soins, n'ont aucun prix aux yeux de l'homme ; sans tout cela, selon lui, il ne daignerait pas se charger d'elle. Il faut qu'elle se prosterne et lui dise :
« Tu es grand, sublime, incomparable. Tu es plus parfait que Dieu ! Ta face rayonne, ton pied distille l'ambroisie, tu n'as pas un vice et tu as toutes les vertus. Aucun mortel ne peut t'être comparé, je ne dis pas par moi qui suis éblouie de l'éclat de tes regards, mais par ce peuple stupide qui devrait se prosterner quand tu passes et t'élire roi de l'univers ; quand tu me frappes, je suis glorieuse , quand tu me repousses du pied, mon sort est préférable à celui de tous les êtres, t'appartenir est une telle gloire que le genre humain tout entier voudrait se mettre à ma place s'il savait quel honneur y est attaché. » Et pourtant, ces aberrations sont quelquefois dans l'amour le plus pur et le plus vrai. Mais si elles ne sont suivies de réactions violentes, n'y crois pas, homme imbécile, car celle qui t'adore sans cesse, te méprise en secret, celle-la seule qui t'accepte imparfait, et te subit injuste, t'aime avec désintéressement.
Mais, fat imprudent, tu ne veux pas qu'on te pardonne, tu veux qu'on croie et qu'on prétexte n'avoir rien à te pardonner. Tu veux qu'on baise la main qui frappe et la bouche qui ment. Cherche donc l'objet de ton amour dans la fange, et empêche tout un rêve d'en sortir tant que tu seras toi-même une idole debout, car si la femme n'ennoblissait, tu serais forcé, pour demeurer son supérieur, de t'ennoblir et de te purifier aussi et c'est ce que tu ne sais, ne peux, ni ne veux faire.
George Sand, publié par Aurore Sand chez Calmann-Lévy, éditeur 1926. Page 58 pour l'extrait.
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