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George Sand par Henri Amic

Aurore Sand sa petite fille
29 mai 2017
 

George Sand par Henri Amic

Henri Amic, son histoire


Henri Amic (1853-1929), avait voué un culte à George Sand.
A peine âgé de vingt ans, et faisant son service militaire, il prit l’initiative de lui écrire, n ‘osant espérer une réponse.
Mais cette réponse lui parvint peu de jours après, pleine de bons conseils et de sympathie.
Ce fut le commencement d’une correspondance et de relations amicales que plus tard Henri Amic racontera dans l’ouvrage dont sont tirées les citations rapportées ici: George Sand. Mes Souvenirs (Calmann-Lévy,1893).
Il a écrit plusieurs romans sans atteindre la notoriété. Dans En regardant passer la vie (Ollendorf, 1903), et Jours passés (Ollendorf, 1908) il a consacré d’autres pages à George Sand, et c’est lui qui procura la première édition de la Correspondance Sand-Flaubert (Calmann-Lévy).

George Sand, mes souvenirs

Et maintenant en route pour Nohant...

Me voici à Châteauroux. Je couche à l’hôtel Sainte-Catherine : je ne dors guère, je me lève de bonne heure et je pars. Il y a huit lieues de Châteauroux à Nohant.
En voiture, c’est un petit voyage . La droite route blanche s’étend devant mes yeux à perte de vue, interminable. Nous arrivons pourtant à onze heures à Nohant-Vicq.
Me voici pris de peur ou de timidité, je trouve peu convenable de me présenter ainsi chez Mme Sand à l’heure du déjeuner.
Je me fais arrêter à une sorte de cabaret qui est aussi un bureau de tabac. Je demande une omelette : on me sert tant bien que mal, plutôt mal, mais je n’y prends pas garde. Je ne pense point à ce que je mange.
Je n’ai qu’une envie, je voudrais parler et surtout entendre parler de George Sand. La brave femme qui me sert semble m’avoir deviné, elle s’arrête les poings sur les hanches...
- C’est-il indiscret, me dit-elle, de vous demander, Monsieur, où vous allez comme ça?
- Je vais chez Mme Sand...
- Ah ! vous allez au château chez not’dame.
- Vous la connaissez?
- Oui bien . C’est pas qu’on la voit souvent, elle ne sort plus guère à présent, mais on la connaît toujours et on l’aime parce qu’il n’y a personne au monde qui soit meilleur.
Des femmes comme ça, voyez-vous Monsieur, le moule en est brisé, on n’en fait plus . On pourrait mettre dans un mortier quarante têtes des hommes les plus intelligents, les plus instruits du pays et d’ailleurs, on les pilerait et on les repilerait, on ne fabriquerait point une tête pareille à celle de not’dame . Et avec ça, je vous le répète, c’est la bonté même, la bonté du bon Dieu quoi! . . . Chacun dans le bourg se ferait hacher pour elle !...
La brave paysanne! Je ne lui dis pas une parole. Son admiration naïve m'a remué.
Je monte en voiture. Nous quittons la grand route. A travers de vieux noyers, j'aperçois la maison. Dans quelques minutes je serai arrivé.

Diable de cocher! Le voici qui fait claquer son fouet, et clic et clac que de bruit J'ai envie de lui crier que je ne suis point un personnage et qu'il n'est pas nécessaire d'annoncer ainsi ma venue. Ce grand tapage ne fait qu'augmenter mon trouble. Nous entrons sous le portail, puis dans la cour plantée d'arbres.
Me voici dans le vestibule, où je suis reçu par une adorable fillette, la plus jeune fille de Maurice Sand, Gabrielle, une enfant de six ans.

Je vais aller prévenir bonne mère, s'écrie-t-elle après m'avoir gentiment tendu ses joues roses. Et vite elle s'envole.
Je traverse la salle à manger, et une servante coiffée du calot berrichon, m'introduit dans le salon. Là, j'attends. Comme mon cœur bat Je n'ai pas même l'idée de regarder les objets qui m'entourent. Tout à coup, j'entends une bonne voix d'un timbre grave et cependant très doux, Mme Sand entre, précédée de ses deux petites- filles, Aurore et Gabrielle. Enfin, vous voilà, mon cher enfant, me dit-elle en me tendant les bras.

Je l'embrasse profondément ému.
-Où avez-vous déjeuné ? me demande- t-elle tout de suite.
-A Nohant-Vicq.
-Vous voulez donc que je vous gronde, pourquoi n'êtes-vous pas venu directement ici ? -
Vous ne nous traitez pas en amis, mais tout cela- va changer. D'abord vous nous resterez quelques jours, c'est décidé. Je n'entendrai votre comédie que lorsque vous serez tout à fait en confiance avec moi. En ce moment, le temps est beau, profitons-en pour faire ensemble un tour de jardin.

Tout en me permettant d'admirer les cèdres qui ornent le devant de la maison, le joli bois et les fleurs vivaces de toutes espèces qui fleurissent sous une longue allée de pommiers, Mme Sand me parle de la difficulté d'écrire pour le théâtre...
J'éprouve à partir plus de peine que jamais, et j'ai la joie de sentir que mon départ est regretté par mes nouveaux amis.

Henri Amic.
C'est ce soir la fête de Mme Sand. Elle a maintenant soixante et onze ans. J'ai fait faire pour elle un bracelet.
Du bas de son chiffre s'échappe de droite et de gauche une petite palme en or vert. Ces palmes abritent les portraits émaillés d'Aurore et de Gabrielle. Lorsque je donne à Mme Sand ce petit cadeau :
« Prenez garde, me dit-elle si vous avez fait des folies pour moi, mon enfant, je vais vous gronder. »
– Je lui réponds en riant « Non, madame, vous ne me gronderez pas. »
Quand elle voit le bracelet, les larmes lui viennent presque aux yeux.
« Je devrais me fâcher et je ne le peux pas. Ah comme vous connaissez bien le faible de mon cœur. Je ne porte guère de bracelet mais celui-là, je le porterai souvent, merci.»

Henri Amic, Nohant le 5 juillet 1875.
 
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