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Histoire de ma vie

George Sand en son jardin de Nohant
29 mai 2017
 

Histoire de ma vie


George Sand avait 50 ans quand elle publia l’Histoire de ma vie. Nous rendons maintenant justice au grand écrivain, à la femme généreuse qu’elle fut. Ses mémoires, comme sa correspondance, nous la montrent bien telle. Elle ne veut pas donner une autobiographie à la manière de Rousseau : elle tait certaines misères, certaines fautes, mais non sans nous apprendre beaucoup sur son enfance ballottée et son existence si caractéristique. Ce qu’elle veut surtout, c’est faire le point sur les solutions qu’elle a données aux problèmes de son siècle et de sa vie intime. On savoure dans les nombreuses anecdotes son talent de conteur. Elle évoque avec profondeur l’atmosphère de l’Empire, la naissance et le développement du « mal du siècle ». Tout cela est mêlé comme dans la vie, et d’une liberté, d’une allégresse de ton qui séduisent.

Source La Pléiade, Histoire de ma vie par George Sand, tome I & II.

George Sand (1804-1876), se proclamait volontiers « fille d’un patricien et d’une bohémienne », une double appartenance qui a fortement façonné sa vie. Côté vie amoureuse, elle a eu les amants les plus célèbres (Aurélien de Sèze, Stéphane Ajasson de Gransagne, Jules Sandeau, Alfred de Musset, Michel de Bourges, Chopin, Alexandre Monceau), et un mari pendant plusieurs années, Casimir Dudevant. Au fil du temps, elle est devenue une « femme illustre et extraordinaire », jouissant d’une notoriété certaine de son vivant. Son premier roman signé de son nom de plume, Indiana, paraît en 1832. On parle déjà « du plus beau roman de mœurs qu’on ait publié en France depuis vingt ans ». Elle publia en tout plus de 100 œuvres. Son œuvre romanesque, déjà considérable, ne doit pas masquer l’ampleur et la diversité de ses écrits : contes et nouvelles, pièces de théâtre, articles et critiques politiques, vingt-six volumes de correspondances, et des autobiographies (Journal intime en 1834, Sketches and hints en 1835 ; Entretiens journaliers avec le très docte et très habile docteur Pifföel, professeur de botanique et de psychologie, en 1837 ; Souvenirs de mars-avril 1848, puis le Journal de novembre-décembre 1851).
Parmi ces textes autobiographiques, on trouve Histoire de ma vie par George Sand (1855). Ce recueil épistolaire, organisé autour d’une volonté autobiographique, a été en partie rédigé pour des raisons financières. Ce texte correspond à une tendance de l’époque. En effet, George Sand, forte de sa notoriété, est la destinataire de nombreuses lettres. Les correspondances, dans cette première moitié du xixe siècle, sont en vogue (Chateaubriand, Stendhal, et Rousseau, qui a attiré les lecteurs). Cela tient à l’alphabétisation progressive du peuple français.
George Sand eut dès 1835, peu après sa rupture avec Alfred de Musset, le projet d’écrire ses mémoires. Elle les commença en 1847, et les abandonna en 1848, pour les reprendre et les achever cette fois-ci en 1855. Il ne s’agit pas d’une autobiographie véritable. Les dates et la succession des faits n’y sont pas respectées. Il ne fait aucun doute que Histoire de ma vie est un témoignage à valeur universelle. C’est un document social, et une histoire familiale, qui sera publié en dix volumes.
On peut y lire des sujets très variés comme la Révolution française, Napoléon, la passion de l’auteur pour les oiseaux, sa vie à Nohant et à Paris, et la place des serviteurs dans son ménage.
 

Histoire de ma Vie


Écoutez ; ma vie, c’est la vôtre ; car vous qui me lisez, vous n’êtes point lancés dans le fracas des intérêts de ce monde, autrement vous me repousseriez avec ennui.
Vous êtes des rêveurs comme moi. Dès lors tout ce qui m’arrête en mon chemin vous a arrêtés aussi. Vous avez cherché, comme moi, à vous rendre raison de votre existence, et vous avez posé quelques conclusions.
Comparez les miennes aux vôtres. Pesez et prononcez. La vérité ne sort que de l’examen.

George Sand
 

Histoire de ma Vie


Je quittai Nohant avec un serrement de cœur pareil à celui que j’avais éprouvé en quittant les Anglaises.
J’y laissais toutes mes habitudes studieuses, tous mes souvenirs de cœur, et mon pauvre Deschartres seul et comme abruti de tristesse.
Ma mère ne me laissa emporter que quelques livres de prédilection.
Elle avait un profond mépris pour ce qu’elle appelait mon originalité.
Elle me permit cependant de garder ma femme de chambre Sophie, à laquelle j’étais attachée, et d’emmener mon chien.

George Sand
 

Histoire de ma Vie


Si je suis entrée dans ce détail, c’est que j’ai à dire comment, au milieu de cette vie de religieuse que je menais bien réellement à Nohant, et à laquelle ne manquaient ni la cellule, ni le vœu d’obéissance, ni celui de silence, ni celui de pauvreté, le besoin d’exister par moi-même se fit enfin sentir. Je souffrais de me voir inutile.
Ne pouvant assister autrement les pauvres gens, je m’étais fait médecin de campagne, et ma clientèle gratuite s’était accrue au point de m’écraser de fatigue.
Par économie, je m’étais faite aussi un peu pharmacien, et quand je rentrais de mes visites, je m’abrutissais dans la confection des onguents et des sirops.
Je ne me lassais pas du métier; que m’importait de rêver là ou ailleurs? Mais je me disais qu’avec un peu d’argent à moi, mes malades seraient mieux soignés et que ma pratique pourrait s’aider de quelques lumières.

George Sand.
 

Histoire de ma Vie


Si nous n’habitons pas le même enclos d’idées et de sentiments, il y a, du moins, une grande porte toujours ouverte au mur mitoyen, celle d’une affection immense et d’une confiance absolue.

George Sand à propos de son fils Maurice.
 

Les deux cèdres du Liban

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Extrait de Sand et les Romantiques (C.Lara & Luc Plamondon)
 

Par Aurore Sand, souvenir de Nohant.

Par Aurore Sand
 

Histoire de ma Vie


La vie des enfants est un miroir magique, où les objets réels deviennent les riantes images de leurs rêves ; mais un jour arrive où le talisman perd sa vertu, ou bien la glace se brise et les éclats sont dispersés pour ne jamais se réunir.

George Sand.
 
George Sand
Nohant par Vicente Santaolaria.
Collection Privée et Musée de la Vie Romantique à Paris.

Histoire de ma Vie


C’est dans la belle peinture qu’on sent ce que c’est que la vie : c’est comme un résumé splendide de la forme et de l’expression des êtres et des choses, trop souvent voilées ou flottantes dans le mouvement de la réalité et dans l’appréciation de celui qui les contemple ; c’est le spectacle de la nature et de l’humanité vu à travers le sentiment du génie qui l’a composé et mis en scène.

George Sand
 
Histoire de ma vie
Affiche de librairie pour le lancement de l’ouvrage de George Sand « Histoire de ma Vie ». Collection Louvenjoul-BIdF.
 

Histoire de ma vie, Frédéric Chopin.


Nohant lui était devenu antipathique. Son retour, au printemps, l’enivrait encore quelques instants. Mais dès qu’il se mettait au travail, tout s’assombrissait autour de lui.
Sa création était spontanée, miraculeuse. Il la trouvait sans la chercher, sans la prévoir. Elle venait sur son piano soudaine, complète, sublime, ou elle se chantait dans sa tête pendant une promenade, et il avait hâte de se la faire entendre à lui-même en la jetant sur l’instrument. Mais alors commençait le labeur le plus navrant auquel j’aie jamais assisté. C’était une suite d’efforts, d’irrésolution et d’impatiences pour ressaisir certains détails du thème de son audition : ce qu’il avait conçu tout d’une pièce, il l’analysait trop en voulant l’écrire, et son regret de ne pas le retrouver net, selon lui, le jetait dans une sorte de désespoir. Il s’enfermait dans sa chambre des journées entières, pleurant, marchant, brisant ses plumes, répétant et changeant cent fois une mesure, l’écrivant et l’effaçant autant de fois, et recommençant le lendemain avec une persévérance minutieuse et désespérée. Il passait six semaines sur une page pour en revenir à l’écrire telle qu’il l’avait tracée du premier jet.

George Sand
 

Histoire de ma vie, Frédéric Chopin


Il est une autre âme, non moins belle et pure dans son essence, non moins malade et troublée dans ce monde, que je retrouve avec autant de placidité dans mes entretiens avec les morts, et dans mon attente de ce monde meilleur où nous devons nous reconnaître tous au rayon d’une lumière plus vive et plus divine que celle de la terre.
Je parle de Frédéric Chopin, qui fut l’hôte des huit dernières années de ma vie de retraite à Nohant sous la monarchie.
Le génie de Chopin est le plus profond et le plus plein de sentiments et d’émotions qui ait existé. Il a fait parler à un seul instrument la langue de l’infini; il a pu souvent résumer, en dix lignes qu’un enfant pourrait jouer, des poèmes d’une élévation immense, des drames d’une énergie sans égale. Il n’a jamais eu besoin des grands moyens matériels pour donner le mot de son génie. Il ne lui a fallu ni saxophones ni ophicléides pour remplir l’âme de terreur; ni orgues d’église, ni voix humaine pour la remplir de foi et d’enthousiasme. Il n’a pas été connu et il ne l’est pas encore de la foule. Il faut de grands progrès dans le goût et l’intelligence de l’art pour que ses œuvres deviennent populaires. Un jour viendra où l’on orchestrera sa musique sans rien changer à sa partition de piano, et où tout le monde saura que ce génie aussi vaste, aussi complet, aussi savant que celui des plus grands maîtres qu’il s’était assimilés, a gardé une individualité encore plus exquise que celle de Sébastien Bach, encore plus puissante que celle de Beethoven, encore plus dramatique que celle de Weber. Il est tous les trois ensemble, et il est encore lui-même, c’est-à-dire plus délié dans le goût, plus austère dans le grand, plus déchirant dans la douleur. Mozart seul lui est supérieur, parce que Mozart a en plus le calme de la santé, par conséquent la plénitude de la vie.
Chopin sentait sa puissance et sa faiblesse. Sa faiblesse était dans l’excès même de cette puissance qu’il ne pouvait régler. Il ne pouvait pas faire comme Mozart (au reste Mozart seul a pu le faire), un chef-d’œuvre avec une teinte plate. Sa musique était pleine de nuances et d’imprévu. Quelquefois, rarement, elle était bizarre, mystérieuse et tourmentée. Quoiqu’il eût horreur de ce que l’on ne comprend pas, ses émotions excessives l’emportaient à son insu dans des régions connues de lui seul.

George Sand
 

Histoire de ma Vie


J'eus donc à Nohant quelques beaux jours d'hiver, où je savourai pour la première fois depuis la mort de ma grand-mère les douceurs d'un recueillement que ne troublait plus aucune note discordante. J'avais, autant par économie que par justice, fait maison nette de tous les domestiques habitués à commander à ma place. Je ne gardai que le vieux jardinier de ma grand-mère, établi avec sa femme dans un pavillon au fond de la cour.
J'étais donc absolument seule dans cette grande maison silencieuse. Je ne recevais même pas mes amis de la Châtre, afin de ne donner lieu à aucune amertume. Il ne m'eût pas semblé de bon goût de pendre sitôt la crémaillère, comme on dit chez nous, et de paraître fêter bruyamment ma victoire. 

Ce fut donc une solitude absolue, et, une fois dans ma vie, j'ai habité Nohant à l'état de maison déserte.
La maison déserte a longtemps été un de mes rêves. Jusqu'au jour où j'ai pu goûter sans alarmes les douceurs de la vie de famille, je me suis bercée de l'espoir de posséder dans quelque endroit ignoré une maison, fût-ce une ruine ou une chaumière , où je pourrais de temps en temps disparaître et travailler sans être distraite par le son de la voix humaine.

Nohant fut donc en ce temps-là, c'est-à-dire en ce moment-là, car il fut court comme tous les pauvres petits repos de ma vie, un idéal pour ma fantaisie. Je m'amusai à le ranger, c'est-à-dire à le déranger moi-même. Je faisais disparaître tout ce qui me rappelait des souvenirs pénibles, et je disposais les vieux meubles comme je les avais vus placés dans mon enfance. La femme du jardinier n'entrait dans la maison que pour faire ma chambre et m'apporter mon dîner. Quand il était enlevé, je fermais toutes les portes donnant dehors et j'ouvrais toutes celles de l'intérieur. J'allumais beaucoup de bougies et je me promenais dans l'enfilade de grandes pièces du rez-de-chaussée, depuis le petit boudoir où je couchais toujours, jusqu'au grand salon illuminé en outre par un grand feu. Puis j'éteignais tout, et marchant à la seule lueur du feu mourant dans l’âtre, je savourais l'émotion de cette obscurité mystérieuse et pleine de pensées mélancoliques, après avoir ressaisi les riants et doux souvenirs de mes jeunes années. Je m'amusais à me faire un peu peur en passant comme un fantôme devant les glaces ternies par le temps, et le bruit de mes pas dans ces pièces vides et sonores me faisait quelque-fois tressaillir, comme si l'ombre de Deschartres se fût glissée derrière moi.

  George SandHistoire de ma vie, tome dixième page 123.
 

Histoire de ma Vie

Le pâle soleil des hivers on est convenu de l'appeler comme cela, est le plus vif et le plus brillant de l'année.
Quand il dissipe les brumes, quand il se couche dans la pourpre étincelante des soirs de grande gelée, on a peine à soutenir l'éclat de ses rayons. Même dans nos contrées froides, et fort mal nommées tempérées, la création ne se dépouille jamais d'un air de vie et de parure. Les grandes plaines fromentales se couvrent de ces tapis courts et frais, sur lesquels le soleil, bas à l'horizon, jette de grandes flammes d'émeraude. Les prés se revêtent de mousses magnifiques, luxe tout gratuit de l'hiver.
Le lierre, ce pampre inutile, mais somptueux, se marbre de tons d'écarlate et d'or.

George Sand, extrait de l’Histoire de ma Vie, Chapitre neuvième page 147 du Tome onzième.

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Chemin forestier en Berry par Olivier Botta.
 
 
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