Frédéric Chopin
Les années Frédéric Chopin à Nohant...
Les années Frédéric Chopin représentent neuf années de la vie de George Sand : de 1838 à 1847 ces deux artistes hors du commun ont uni leurs destinées. Durant cette période de vie commune, partageant essentiellement leur temps entre Nohant et la capitale, ils ont assumé aux yeux du tout Paris cette relation affective et travaillé à une partie conséquente de leurs œuvres respectives, musicales et littéraires, ces œuvres ayant considérablement marqué leur siècle.« Je reçois aujourd’hui quelques personnes, entre autres Mme Sand. De plus, Liszt jouera et Nourrit chantera… »
(Frédéric Chopin à Joseph Brzowski, à Paris, décembre 1839 dans Correspondance de Frédéric Chopin, vol. 2, lettre n°228).
George Sand a rencontré Frédéric Chopin en 1836 à Paris, par l’intermédiaire en particulier d’un ami commun, Franz Liszt, au cours de soirées mondaines et artistiques, chez les uns ou les autres, au sein d’un microcosme artistique où leur rencontre était finalement inéluctable…
Elle a alors 32 ans ; elle est une artiste particulièrement reconnue, publiée depuis quatre ans dans un milieu où peu de femmes arrivent à se distinguer. George Sand vient de gagner un long procès en séparation qu’elle avait engagé contre son mari, monsieur Dudevant, sous la tutelle duquel elle se trouvait comme la juridiction maritale le définissait. Leur séparation de corps et de biens est prononcée : la romancière retrouve la possibilité d’occuper sa demeure de Nohant sans son mari ainsi que la gestion de ses revenus ; elle a aussi obtenu la garde et l’entretien financier de ses deux enfants.
Frédéric Chopin a alors 26 ans ; il est reconnu, depuis son arrivée à Paris en 1831, comme l’un des compositeurs incontournables de cette période, fort d’un talent inclassable. Quittant Varsovie pour espérer gagner une reconnaissance à la hauteur de son génie au sein des capitales culturelles européennes, Chopin est un des représentants les plus emblématiques de la Pologne. Ce pays, qu’il ne reverra jamais, avait été démantelé au profit de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse, dans la reconstruction de l’Europe après la chute de l’Empire napoléonien. Chopin et sa musique symbolisent en dehors d’un territoire alors réduit à une peau de chagrin, la culture et la nation polonaises.
« Je commence à croire qu’il y a des anges déguisés en hommes… »
(George Sand à Eugène Delacroix, à Paris, septembre 1838 dans Correspondance de George Sand, tome 4, lettre n°1785)
A ce moment-là de leur vie, la romancière comme le compositeur étaient sentimentalement fragilisés par des déceptions… Séduite par le talent, la fragilité, le destin d’exilé de cet homme hors du commun, George Sand fit entrer Frédéric Chopin dans sa vie au tout début de l’été 1838. Eugène Delacroix exécuta au tout début de leur relation, un tableau magnifique mettant en scène les deux amants : dans un clair-obscur intimiste, le musicien est au premier plan, assis au piano, la romancière est en retrait, debout, exécutant un travail à l’aiguille.
A l’automne, George Sand s’inquiéta d’une destination au sud de l’Europe, motivée par diverses raisons : une envie de soleil et d’exotisme, l’idée aussi de fuir les « quand dira-t-on » parisiens autour du nouveau couple… Sur les conseils d’une amie, elle choisit un site qui n’était pas encore un lieu de villégiature à la mode : l’île de Majorque, dans l’archipel des Baléares. George Sand, Frédéric Chopin, Maurice et Solange s’installèrent sur l’île, à Palma, puis à Valldemosa, durant trois mois et demi, de novembre 1838 à la mi-février 1839. Ils furent finalement forcés d’écourter ce séjour, en particulier à cause de la mauvaise santé de Chopin. La beauté des paysages, l’exotisme de la végétation, le calme du monastère dans lequel George Sand avait trouvé des logements, ne suffirent pas à faire de ce séjour un souvenir heureux… Les difficultés à se loger, la pluie, le froid, la suspicion des populations locales à leur égard et les souffrances physiques du musicien, laissèrent aux voyageurs un goût amer.
Afin que Chopin puisse se refaire une santé, George Sand organisa une grosse halte à Marseille : ils y restèrent finalement trois mois, et en profitèrent pour réaliser une petite escapade à Gênes, en Italie. Remontant tranquillement, par étapes, la moitié sud de la France, la famille recomposée gagna alors Nohant, en Berry, aux premiers jours du mois de juin 1839, où ils s’établirent jusqu’à la mi-octobre.
« Enfin sur place après une semaine de voyage. Nous nous sentons tous parfaitement bien. Belle campagne : alouettes, rossignols… »
(Frédéric Chopin à Albert Grzymala, à Nohant, le 2 juin 1839 dans Correspondance de Frédéric Chopin, vol. 2, lettre n°319).
C’est à partir de ce moment-là que le couple et les enfants de la romancière, prirent l’habitude de séjourner à Nohant chaque été. Durant sept longs étés _des mois de mai-juin aux mois d’octobre-novembre_, de 1839 à 1846, à l’exception de l’été 1840, Frédéric Chopin s’installa à Nohant. Depuis Paris, entre quarante et trente heures de diligence étaient alors encore nécessaires, le voyage s’effectuant de nuit au départ de la capitale. En 1843, le chemin de fer relia Paris à Orléans, ce qui écourtait nettement le voyage et évitait le trajet de nuit.
Cette période représente pour le musicien un temps de vie qui n’est pas du tout négligeable ; peu d’endroits en Europe ont accueilli Chopin autant de temps. Le site de Nohant est resté quasi inchangé depuis cette époque : la campagne environnante, le jardin et les cours cernant la maison de George Sand, la maison elle-même, permettent d’asseoir concrètement la présence du compositeur. Peu de sites connus de Chopin connaissent ce privilège !
La correspondance respective des deux amants (Correspondance de George Sand, textes réunis, classés et annotés par Georges Lubin, Paris, Garnier frères, 25 vol., 1969-1991 ; Correspondance de Frédéric Chopin, recueillie, révisée, annotée et traduite par Bronislas Edouard Sydow, en collaboration avec Suzanne et Denise Chainaye, 3 vol., Richard Masse, 1981) permet de bien cerner dans quelles conditions ils ont vécu. L’isolement du site _Nohant était alors particulièrement enclavé_ et le calme qui en découlait, offrait aux deux artistes un rythme de vie régulier, propice au repos et au travail. A Paris, au contraire, entraînés dans le tourbillon de leurs obligations professionnelles ou mondaines, ils n’avaient guère le temps d’écrire ou de composer.
George Sand à Nohant, écrivit une partie importante de son œuvre. Elle rédigea plusieurs romans, certains occupant une place décisive dans la profusion de sa production littéraire ; avec Consuelo et La Comtesse de Rudolstatd, elle livre sa vision de l’art et de l’artiste ; avec Le Péché de Monsieur Antoine et Le Meunier d’Angibault, elle propose un idéal de société socialisant et communautaire ; avec La Mare au diable _dédié à Chopin_, elle présente un monde rural peuplé de paysans dont l’honnêteté de cœur est bien plus grande que celle du bourgeois…
De son côté Frédéric Chopin, disposait à Nohant du temps et de la disponibilité intellectuelle dont il était particulièrement privé à Paris ; il travailla, dans des conditions matérielles particulièrement confortables, à l’écriture d’une quarantaine de compositions (27 numéros d’opus, quelques-uns posthume) dont la majorité d’entre elles compte parmi les chefs d’œuvres du musicien.
La liste des œuvres composées à Nohant est établie depuis longtemps : elle comporte en particulier les deuxième et troisième Sonates, les cinquième et sixième Polonaises, la Polonaise fantaisie, les troisième et quatrième Ballades, une tarentelle, une barcarolle, sept nocturnes, trois valses, quinze mazurkas… Ce travail de composition devait être abouti car les partitions étaient négociées avec les différents éditeurs européens du maestro avant son retour à Paris. Ce travail nécessitait absolument la présence à Nohant d’un piano strictement réservé au musicien, que la prestigieuse manufacture de pianos Pleyel lui prêtait. La mise à disposition de ces instruments demandait à chaque aller et retour du couple entre Paris et le Berry, une logistique précise et bien organisée.
« Ici, vous seriez comme au fond d’un désert. Vous aurez des appartements sonores, vastes, un bon air, un piano, un bon Chopin et des cœurs pour vous chérir… »
(George Sand à Pauline Viardot, à Nohant, le 22 juin 1841 dans Correspondance de George Sand, tome 5, lettre n°2251).
Leur régularité de vie en Berry fut, toutefois souvent rompue par la présence d’amis berrichons que George Sand était toujours si heureuse de retrouver, et d’amis parisiens que Chopin était aussi heureux d’accueillir que la maîtresse des lieux.
On connaît sur ces années-là, quatre séjours à la toute jeune mais si célèbre Pauline Viardot, chanteuse lyrique donnant alors récital sur récital aux quatre coins de l’Europe, retrouvant souvent Nohant comme un point de chute entre deux capitales. George Sand reçut également, à trois reprises, Eugène Delacroix, avec lequel elle entretenait depuis ses débuts en littérature une belle amitié, et pour lequel Frédéric Chopin avait une forte estime. Enfin, George Sand accueillit chez elle à Nohant des amis polonais du musicien et surtout la sœur aînée de ce dernier, Louise Chopin, qu’il n’avait pas revue depuis son départ de Varsovie en 1830 : cette présence fut pour lui un moment de pur bonheur.
«… nous faisons, Chopin et moi, de grandes promenades, lui monté sur un âne et moi sur mes jambes… Nous avons été hier à Montgivray… ».
(Lettre de George Sand à Maurice, à Nohant, le 6 juin 1843 dans Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2664).
A plusieurs reprises, le couple, seul ou accompagné des enfants de George Sand et d’amis, firent plusieurs escapades dans les environs de Nohant.
Dans un périmètre assez restreint autour de ce village, au cœur de cette Vallée Noire que George Sand a tant arpenté et si bien définie et décrite, on sait qu’ils se sont rendus régulièrement, à pied, à dos d’âne, de cheval ou en voiture, sur quelques sites adorés de la romancière, qu’elle aimait faire découvrir à ceux qui séjournaient chez elle. Ils sont allés à Corlay, lieu-dit culminant la vallée de l’Indre ; à Sarzay où un château féodal très bien conservé marque magnifiquement le paysage et au moulin d’Angibault juste à côté, où la rivière de la Vauvre s’écoule paisiblement ; au château d’Ars où vivait le bon docteur Papet, familier de Nohant, ami de jeunesse de George Sand que Chopin appréciait tant ; à Montgivray bien sûr, village voisin de Nohant, où Hippolyte Chatiron, le demi-frère si pittoresque de George Sand était établi ; au bord de l’Indre aussi, dont l’accès se fait si facilement depuis la maison et le bord de la route.
Sur un périmètre plus large, pour des excursions plus longues, organisées parfois sur plusieurs journées, ils sont allés à Boussac, au nord du département de la Creuse, où Pierre Leroux, reçu à Nohant à ce moment-là, théoricien du « socialisme » dont George Sand rêve pour la France, avait établi une communauté de travail et de vie autour d’une imprimerie. A proximité, se trouvent les pierres jaumâtres, curiosité géologique alimentant bien des questionnements quant à leur origine ; elles furent également une raison valable d’aller jusque-là. On sait enfin que Chopin a fait partie d’une expédition _ une fois seulement_ qui emmena George Sand, ses enfants et des amis (elle s’y rendit à plusieurs reprises) sur les rives de la Creuse, rivière traversant l’ouest du département de l’Indre au sein d’une vallée encaissée où les ruines du château de Crozant, au cœur d’un paysage grandiose, attiraient depuis longtemps tous les amateurs, peintres y compris, de pittoresque.
« … quand il est mélancolique il se rejette sur son piano et compose de belles pages… »
(George Sand à Charlotte Marliani, à Nohant, le 24 juillet 1839 dans Correspondance de George Sand, tome 4, lettre n°1906)
Malgré la présence bienfaisante de leurs amis, malgré des promenades distrayantes, malgré le confort matériel dont il bénéficiait dans la grande maison de George Sand, Frédéric Chopin n’était pas forcément toujours heureux à Nohant. L’isolement du site, le rythme de vie, calme et reposant mais finalement monotone, a souvent été propice à l’ennui pour le musicien. George Sand évoqua dès leur premier séjour le fait que Chopin s’ennuyait… Ce sentiment fut récurent durant les sept longs étés passés en Berry. L’ennui fut vite propice à la mélancolie. Entouré, mais finalement isolé car loin de sa famille, loin d’un pays soumis aux puissances russes et autrichiennes, conscient qu’il ne retournera jamais en Pologne, Frédéric Chopin ressenti à Nohant, plus que n’importe où ailleurs, le poids de l’exil.
Dans de longues lettres écrites à sa mère et à ses sœurs, il livre souvent des états d’âme douloureux. S’offrant au moment de leur rédaction des têtes à têtes avec ceux qu’il ne reverra jamais, Chopin exprime dans ces lettres emplies d’une émotion palpable, à quel point ceux qui lui sont le plus chers, lui manquent…
Cette nostalgie, cette absence durement ressentie, ont nourri son œuvre ; les musiques écrites par le compositeur polonais à Nohant, expriment en particulier cette Pologne meurtrie, cette Pologne qu’il a perdue et la nostalgie qui en découle.
A la mi-novembre 1846, Frédéric Chopin quitta Nohant pour Paris sans George Sand retenue sur ces terres pour plusieurs raisons. Il ne revint jamais en Berry. Le couple se sépara brutalement au début de l’été 1847. Cette séparation fut douloureuse et laissa un goût d’amertume à l’un comme à l’autre, nourrissant jusqu’à nos jours des commentaires infinis... Elle est causée, essentiellement, par les terribles dissensions qui opposèrent alors George Sand à sa fille Solange et au mari de cette dernière. Mal informé, mis de côté dans les décisions importantes que George Sand dut prendre rapidement au moment du mariage de Solange, Frédéric Chopin fit les frais de cette rupture entre la mère et la fille. Cette période fut une des plus douloureuses de la vie de la romancière.
Les souvenirs concrets de la présence de Chopin dans la maison de George Sand sont dérisoires… Après que le musicien fut sorti de sa vie, la chambre de ce dernier évolua lentement et finit par être totalement modifiée. Nohant est visible aujourd’hui tel que George Sand l’a voulu : elle vécut trente ans de plus que Chopin et apporta à la maison de son enfance des modifications justifiées par toutes sortes de raisons. Nohant n’est pas un musée, c’est un cadre de vie qui raconte une histoire, celle d’une femme dont la vie ne s’est pas figée en 1847, loin de là…
Toutefois, malgré l’absence de stigmates permettant de rendre visible à Nohant cette si belle présence, les témoignages écrits de ceux qui ont vécu auprès de lui la rendent presque palpable... George Sand, les amis reçus en Berry et le musicien lui-même ont laissé dans leurs écrits respectifs assez de détails pour nous permettre de saisir sa présence dans les murs de la grande demeure berrichonne ou dans les allées du jardin. Des détails écrits sur l’instant, spontanément, parfois si précis qu’ils nous donnent à voir Chopin dans ce cadre de vie que George Sand a su lui offrir, avec le souci du plus grand confort matériel et moral possible, le temps de sept longs étés. A la lecture de certaines lettres, des fenêtres s’ouvrent devant nos yeux sur leur quotidien, des images se forment dans nos pensées et nous donnent à voir, étonnamment, le Nohant que Chopin a connu, modifié ensuite par George Sand.
Cette présence s’ancre à Nohant aussi, bien sûr, surtout, par le biais de cette musique qu’il s’appliqua à écrire au sein du « cocon » voulu pour lui par la romancière. Cette musique jouée par des interprètes issus de tous les horizons depuis 150 ans, est plus vivante que jamais. Les compositions écrites par Chopin à Nohant révèlent une gamme d’émotions incroyable ; cette musique si intimiste est celle d’un homme blessé, fragilisé par un destin que ni George Sand ni quiconque, n’avaient les moyens de modifier. Chopin a livré à son piano, à ce moment-là et à cet endroit-là précisément, des sentiments personnels douloureux, ses bleus à l’âme, ses colères, ses espoirs, ses petites madeleines de Proust, car il les ressentait en particulier à Nohant dans une forme de solitude à laquelle personne ne pouvait le soustraire. Ces sentiments n’ont ni frontière ni temporalité. La musique de Chopin écrite à Nohant porte en elle une forme d’universalité, c’est pour cela peut-être que l’écho de son œuvre est si grand, si intense et si touchant, si moderne aussi.
Depuis plus de 50 ans déjà, le Festival Chopin convie les plus grands interprètes du moment à venir jouer Chopin à l’endroit-même où ses œuvres furent composées.
Durant les mois de juin et de juillet, en plusieurs sites du domaine de George Sand, au sein d’un environnement resté quasi inchangé depuis l’époque où le couple y prenait ses quartiers d’été, la musique de Chopin résonne aux oreilles des mélomanes avertis venus parfois de loin pour l’écouter, ou bien des simples promeneurs surpris de l’entendre en cet endroit-là. Alors le temps s’arrête… Chopin est vivant à Nohant.
Vinciane Esslinger.
Rattachée au Centre des Monuments Nationaux, guide au château de Nohant chez George Sand.
Historienne de formation, spécialisée dans les les visites pour le jeune public et dans les visites spécifiques concernant la présence de Frédéric Chopin à Nohant.
Lien vers le Festival de Frédéric Chopin à Nohant, cliquez-ici
Lien vers Frédéric Chopin dans l'Histoire de ma Vie par George Sand, cliquez-ici
Dessin préparatoire de Delacroix (musée du Louvre), pour le portrait (huile sur toile) réunissant les deux amants, George Sand et Frédéric Chopin.
Au tout début de leur liaison, George Sand et Frédéric Chopin posent dans l’atelier parisien d'Eugène Delacroix. Cette toile paraît avoir été exécutée en juillet 1838, Delacroix se faisant alors le complice d’une union naissante… Ceci est attesté par une lettre du peintre écrite à un ami le 5 septembre 1838, lui demandant de passer chez le facteur de pianos Pleyel afin de faire enlever « le piano que Mr Chopin y a fait porter il y a deux mois environ » (Correspondance de George Sand, tome 4, note de la lettre n°1785). Cette mention est la seule concernant l’exécution potentielle du tableau en question ; ni George Sand ni Chopin ne l’évoquent dans leur correspondance respective.
Considéré comme inachevé, le tableau resta en possession de Delacroix jusqu’à sa mort en 1863. Le grand peintre ne laissant pas de descendant, une vente aux enchères dispersa ses œuvres. La toile réunissant la romancière et le musicien fut acquise et après être passée entre plusieurs mains, elle fut coupée en deux parties, vraisemblablement pour être deux fois mieux vendue… Une main cupide sépara donc les deux amants.
A l’issue de leur acquisition auprès d’un collectionneur, elles entrèrent finalement dans les collections de deux musées : la partie George Sand est au musée Ordrupgaard à Copenhague (Danemark), la partie Chopin est au musée du Louvre.
Considéré comme inachevé, le tableau resta en possession de Delacroix jusqu’à sa mort en 1863. Le grand peintre ne laissant pas de descendant, une vente aux enchères dispersa ses œuvres. La toile réunissant la romancière et le musicien fut acquise et après être passée entre plusieurs mains, elle fut coupée en deux parties, vraisemblablement pour être deux fois mieux vendue… Une main cupide sépara donc les deux amants.
A l’issue de leur acquisition auprès d’un collectionneur, elles entrèrent finalement dans les collections de deux musées : la partie George Sand est au musée Ordrupgaard à Copenhague (Danemark), la partie Chopin est au musée du Louvre.
En 2004, à l’occasion d’une exposition donnée par le Musée de la Vie Romantique à Paris pour le bicentenaire de la naissance de George Sand, les deux parties de la toile furent réunies.
Vinciane Esslinger
Vinciane Esslinger
Frédéric Chopin, Eugène Delacroix et George Sand
Eugène Delacroix et George Sand se rencontrèrent à l’automne 1834 ; il compta parmi les premières amitiés artistiques de la romancière et fut une des plus longues et des plus fidèles. George Sand est alors publiée par la Revue des deux mondes dont le célèbre directeur est François Buloz. Ce dernier demande au peintre de portraiturer ses chroniqueurs. En novembre 1834, George Sand vient de rompre une énième fois une relation amoureuse intense mais finalement vouée à l’échec, avec Alfred de Musset, l’enfant terrible de la littérature française. Dans un geste désespéré_ mais ô combien romantique_, elle a coupé ses longs cheveux bruns pour les lui donner ! C’est à ce moment-là précisément qu’elle posa pour Delacroix. Ce portrait de George Sand où le peintre a su, si justement, traduire son désespoir, est largement passé à la postérité ; reproduit maintes et maintes fois par le biais de l’estampe, il a été acquis récemment par le Musée national Delacroix à Paris.
Ces temps de pose, furent pour George Sand propices à la confidence ; l’amitié l’unissant à Delacroix est née de ces moments d’intimité privilégiés. Elle ne faiblit jamais, même si Delacroix fut chagriné des conditions dans lesquelles George Sand et Chopin se séparèrent en 1847, le peintre et le musicien ayant l’un pour l’autre une formidable estime.
Très attachée à l’amitié que le peintre lui portrait, particulièrement admirative de ses talents de coloriste et du mouvement qu’il amena à ses tableaux à contre-courant du classicisme ambiant, George Sand a écrit dans Histoire de ma vie à quel point le peintre avait compté dans sa vie affective.
« Eugène Delacroix fut un de mes premiers amis dans le monde des artistes, et j’ai le bonheur de le compter toujours parmi mes vieux amis. Vieux… est le mot relatif à l’ancienneté des relations, et non à la personne. Delacroix n’a pas et n’aura pas de vieillesse. C’est un génie et un homme jeune. Bien que, par une contradiction originale et piquante, son esprit critique sans cesse le présent et raille l’avenir, bien qu’il se plaise à connaître, à sentir, à deviner, à chérir exclusivement les œuvres et souvent les idées du passé, il est, dans son art, l’innovateur et l’oseur par excellence. Pour moi, il est le premier maître de ce temps-ci, et, relativement à ceux du passé, il restera un des premiers dans l’histoire de la peinture… » (Histoire de ma vie, 5ème partie, chapitre 13).
Très vite, dans le cercle des amitiés parisiennes du couple Sand-Chopin, Delacroix trouva sa place. Les trois artistes se fréquentèrent beaucoup à Paris, échangeant inlassablement des opinions sur l’art, la peinture, la musique, la littérature et les connections possibles d’un domaine artistique à l’autre…
« Eugène Delacroix fut un de mes premiers amis dans le monde des artistes, et j’ai le bonheur de le compter toujours parmi mes vieux amis. Vieux… est le mot relatif à l’ancienneté des relations, et non à la personne. Delacroix n’a pas et n’aura pas de vieillesse. C’est un génie et un homme jeune. Bien que, par une contradiction originale et piquante, son esprit critique sans cesse le présent et raille l’avenir, bien qu’il se plaise à connaître, à sentir, à deviner, à chérir exclusivement les œuvres et souvent les idées du passé, il est, dans son art, l’innovateur et l’oseur par excellence. Pour moi, il est le premier maître de ce temps-ci, et, relativement à ceux du passé, il restera un des premiers dans l’histoire de la peinture… » (Histoire de ma vie, 5ème partie, chapitre 13).
Très vite, dans le cercle des amitiés parisiennes du couple Sand-Chopin, Delacroix trouva sa place. Les trois artistes se fréquentèrent beaucoup à Paris, échangeant inlassablement des opinions sur l’art, la peinture, la musique, la littérature et les connections possibles d’un domaine artistique à l’autre…
Ce dessin (Collection Lovenjoul de l'Institut de France, Paris) fait à l'encre par George Sand est ce que le 19ème siècle appelle une "charge", c'est à dire une caricature (du latin caricare qui signifie charger). Une charge permet de souligner une caractéristique quelconque (morale ou physique) afin d'en rire : elle grossit le trait, le montre à la loupe. Ce dessin des trois visages croqués par la romancière, en quelques minutes très sûrement, met en avant les caractéristiques physiques des protagonistes : le nez et le menton de Chopin, son nez et son menton à elle, les épais sourcils du peintre... George Sand a souvent mis en avant la proéminence de son nez ! Chopin lui-même avait l'habitude de "charger" des types de personnages en les caricaturant au piano... Le 19ème siècle a cultivé l'art de la caricature, de la dérision et de l'auto-dérision sans ménager les susceptibilités des uns et des autres...
George Sand souhaitait voir le peintre les rejoindre à Nohant durant les longues périodes estivales. En 1842, Eugène Delacroix, que la peinture retenait beaucoup à Paris (George Sand la désigne souvent sous le terme de « maîtresse »…) et dont la santé n’était pas toujours bonne, accepta enfin les invitations de George Sand.
Elle lui manifesta son contentement et celui de Chopin en particulier, à l’idée de son arrivée en Berry, dans une lettre qui en dit long sur l’enthousiasme du musicien !
George Sand à Eugène Delacroix, à Nohant, le 28 mai 1842 : « Cher, nous vous attendons avec une impatience pleine de bonheur. Je crois que ce pauvre Mauricot (surnom donné à Maurice qui était alors un élève au sein de l’atelier de Delacroix) n’a jamais été si content de sa vie… Venez donc cher bon petit. Mon Chopinet (surnom donné à Chopin) est bien heureux et bien agité aussi de vous attendre. Il se demande ce qu’on fera pour vous amuser, où on ira se promener, ce qu’on vous fera manger, ce qu’il vous jouera sur son piano… » (Correspondance de George Sand, tome 5, lettre n°2460).
Delacroix arriva au tout début du mois de juin, pour repartir au tout début du mois de juillet. George Sand l’installa au rez-de-chaussée de sa grande maison, dans une belle chambre exposée plein sud, donnant sur les jardins, située en contre-bas de celle que Chopin occupait lui-même. Le peintre laissa quelques témoignages amusants de ce long séjour dans la calme campagne berrichonne (trop calme ?...), en écrivant à un ami qu’il renseigna assez précisément à propos de cette villégiature.
Le 7 juin, à son ami Pierret : « …le lieu est très agréable et les hôtes on ne peut plus aimables pour me plaire. Quand on n’est pas réuni pour dîner, déjeuner, jouer au billard ou se promener, on est dans sa chambre à se goberger sur son canapé. Par instant, il vous arrive par la fenêtre ouverte donnant sur le jardin, des bouffées de la musique de Chopin qui travaille de son côté ; cela se mêle au chant des rossignols et à l’odeur des roses. Tu vois que jusqu’à présent, je ne suis pas très à plaindre. »
Delacroix s’appliqua cet été-là à peindre, alors qu’il ne l’avait pas prévu, ce qui nécessita l’envoi de ses peintures depuis Paris ; il représenta des vues du jardin de George Sand et entreprit d’exécuter une scène religieuse destinée à la petite église de Nohant. Il passa vraisemblablement du temps en compagnie de Chopin car dans une lettre adressée à George Sand quelques temps après son retour à Paris, le peintre évoque avec nostalgie le temps qu’il a passé en leur compagnie et « mes têtes à têtes avec Chopin, où les retrouverai-je ?... Peut-être va-t-il travailler à présent que je ne l’interromps plus autant : je suis sûr qu’il a plusieurs fois négligé son travail pour me tenir compagnie… ».
Le 22 juin, Eugène Delacroix écrivait à son ami Pierret en soulignant le calme de l’endroit… : « Je mène une vie de couvent et des plus semblables à elle-même. Aucun évènement n’en varie le cours. Nous attendions Balzac qui n’est pas venu, et je n’en suis fâché. C’est un bavard qui eût rompu la nonchalance dans laquelle je me berce avec grand plaisir ; un peu de peinture à travers cela, le billard et la promenade, voilà plus qu’il n’en faut pour remplir les journées… dans ce pays, chacun reste chez soi et s’occupe de ses bœufs et de ses terres. On y deviendrait fossile en peu de temps. J’ai des tête-à-tête à perte de vue avec Chopin que j’aime beaucoup et qui est un homme d’une distinction rare. C’est le plus vrai artiste que j’ai rencontré. Il est de ceux en petit nombre qu’on peut admirer et estimer… ».
Elle lui manifesta son contentement et celui de Chopin en particulier, à l’idée de son arrivée en Berry, dans une lettre qui en dit long sur l’enthousiasme du musicien !
George Sand à Eugène Delacroix, à Nohant, le 28 mai 1842 : « Cher, nous vous attendons avec une impatience pleine de bonheur. Je crois que ce pauvre Mauricot (surnom donné à Maurice qui était alors un élève au sein de l’atelier de Delacroix) n’a jamais été si content de sa vie… Venez donc cher bon petit. Mon Chopinet (surnom donné à Chopin) est bien heureux et bien agité aussi de vous attendre. Il se demande ce qu’on fera pour vous amuser, où on ira se promener, ce qu’on vous fera manger, ce qu’il vous jouera sur son piano… » (Correspondance de George Sand, tome 5, lettre n°2460).
Delacroix arriva au tout début du mois de juin, pour repartir au tout début du mois de juillet. George Sand l’installa au rez-de-chaussée de sa grande maison, dans une belle chambre exposée plein sud, donnant sur les jardins, située en contre-bas de celle que Chopin occupait lui-même. Le peintre laissa quelques témoignages amusants de ce long séjour dans la calme campagne berrichonne (trop calme ?...), en écrivant à un ami qu’il renseigna assez précisément à propos de cette villégiature.
Le 7 juin, à son ami Pierret : « …le lieu est très agréable et les hôtes on ne peut plus aimables pour me plaire. Quand on n’est pas réuni pour dîner, déjeuner, jouer au billard ou se promener, on est dans sa chambre à se goberger sur son canapé. Par instant, il vous arrive par la fenêtre ouverte donnant sur le jardin, des bouffées de la musique de Chopin qui travaille de son côté ; cela se mêle au chant des rossignols et à l’odeur des roses. Tu vois que jusqu’à présent, je ne suis pas très à plaindre. »
Delacroix s’appliqua cet été-là à peindre, alors qu’il ne l’avait pas prévu, ce qui nécessita l’envoi de ses peintures depuis Paris ; il représenta des vues du jardin de George Sand et entreprit d’exécuter une scène religieuse destinée à la petite église de Nohant. Il passa vraisemblablement du temps en compagnie de Chopin car dans une lettre adressée à George Sand quelques temps après son retour à Paris, le peintre évoque avec nostalgie le temps qu’il a passé en leur compagnie et « mes têtes à têtes avec Chopin, où les retrouverai-je ?... Peut-être va-t-il travailler à présent que je ne l’interromps plus autant : je suis sûr qu’il a plusieurs fois négligé son travail pour me tenir compagnie… ».
Le 22 juin, Eugène Delacroix écrivait à son ami Pierret en soulignant le calme de l’endroit… : « Je mène une vie de couvent et des plus semblables à elle-même. Aucun évènement n’en varie le cours. Nous attendions Balzac qui n’est pas venu, et je n’en suis fâché. C’est un bavard qui eût rompu la nonchalance dans laquelle je me berce avec grand plaisir ; un peu de peinture à travers cela, le billard et la promenade, voilà plus qu’il n’en faut pour remplir les journées… dans ce pays, chacun reste chez soi et s’occupe de ses bœufs et de ses terres. On y deviendrait fossile en peu de temps. J’ai des tête-à-tête à perte de vue avec Chopin que j’aime beaucoup et qui est un homme d’une distinction rare. C’est le plus vrai artiste que j’ai rencontré. Il est de ceux en petit nombre qu’on peut admirer et estimer… ».
L’été suivant, en 1843, alors que George Sand et Chopin sont installés à Nohant depuis un mois, la romancière invita Delacroix à les rejoindre dans une lettre écrite à la fin du mois de juin, qui ne manque pas d’arguments. « Cher ami,… vous savez bien que je pense à vous, que je vous aime, que je parle de vous avec aucuns qui vous aiment, et que j’attends avec impatience l’heure de liberté qui vous amènera parmi nous… On se réveille du premier engourdissement que donne l’air de la campagne, et on regarde à l’almanach pour compter les jours. Et l’on dit : Ah ! ça, mais ! pourquoi ne vient-il pas bientôt ? Diable ! qu’il n’aille pas oublier que nous comptons sur lui. Pourvu qu’il ne se laisse pas débaucher par quelques intrigants ! Enfin on s’agite, on se tourmente et on vous écrit pour vous rappeler que vous êtes demandé à cor et à cri… Chopin y compte, Maurice y compte, et moi donc ! » (Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2681).
Delacroix passa cet été-là la première quinzaine du mois de juillet à Nohant. Durant ce séjour plus bref que le précédent, il prit toutefois le temps d’exécuter un tableau représentant un bouquet des fleurs du jardin de George Sand. Elle l’accrocha à un mur de sa chambre et écrivit au peintre, à l’automne, que « Mon beau vase peint par vous est encadré. Je ne l’ai pas déplacé malgré votre avis, parce que si je le mets au-dessus de moi, à l’endroit où je travaille, je suis forcée de me donner un torticolis pour le voir. Au lieu que là où il est, je le vois de mon lit en m’éveillant et de ma table en écrivant, et de partout. C’est mon point de mire. Il n’y a pas une fleurette, un détail qui ne me rappelle tout ce que nous disions pendant que vous étiez à votre chevalet. » (Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2734).
Le peintre et la romancière avaient en commun l’amour des fleurs : ils aimaient les observer, tant pour leurs couleurs que leur architecture. Lui avait le talent de les peindre, elle de les décrire… Cette toile, intitulée Bouquet de fleurs dans un vase, fut conservée par la romancière jusqu’à la mort du peintre en 1863 ; c’est alors qu’elle la vendit comme bien d’autres œuvres qu’il lui avait données. Ce petit condensé des couleurs du jardin de Nohant pris sur le vif au mois de juillet 1843, est exposé au Musée du Belvédère, à Vienne, en Autriche.
Avant de quitter Nohant pour la capitale, Delacroix confia à George Sand dont les talents en couture ne sont plus à démontrer, son grand béret de peintre afin qu’elle y apporte quelques retouches, comme la promesse qu’ils se reverraient forcément à l’automne à Paris…
Le dernier séjour de Delacroix à Nohant se fit durant l’été 1846 : il y séjourna la dernière quinzaine du mois d’août. Au début du mois, il écrivit à George Sand à quel point il était impatient de les rejoindre : « … avant le 15 je reverrai Nohant qui est dans mon cœur et dans pensée comme un des rares endroits où tout me ravit, me calme et me console… ».
Chopin travailla durant cet été, à une sonate pour piano et violoncelle en collaboration avec un ami à lui, le violoncelliste Auguste Franchomme. Il confia à Delacroix, au moment de son retour sur la capitale, des manuscrits à remettre à Mr Franchomme. Le peintre s’en préoccupa et écrivit à George Sand le 12 septembre, le propos suivant : « …Chopin aura eu sans doute des nouvelles de Mr Franchomme… Je lui ai remis en mains propres le lendemain de mon arrivée le précieux dépôt dont j’étais chargé et pour lequel je redoutais les voleurs en route beaucoup plus que pour mes doublons… ».
Frédéric Chopin écrivit le 30 août 1846 à Auguste Franchomme, au moment où Eugène Delacroix quittait Nohant avec sa précieuse missive : « C’est le plus admirable artiste possible. J’ai passé des moments délicieux avec lui. Il adore Mozart, sait tous ses opéras par cœur… » (Correspondance de Frédéric Chopin, volume 3, lettre n°617).
Delacroix passa cet été-là la première quinzaine du mois de juillet à Nohant. Durant ce séjour plus bref que le précédent, il prit toutefois le temps d’exécuter un tableau représentant un bouquet des fleurs du jardin de George Sand. Elle l’accrocha à un mur de sa chambre et écrivit au peintre, à l’automne, que « Mon beau vase peint par vous est encadré. Je ne l’ai pas déplacé malgré votre avis, parce que si je le mets au-dessus de moi, à l’endroit où je travaille, je suis forcée de me donner un torticolis pour le voir. Au lieu que là où il est, je le vois de mon lit en m’éveillant et de ma table en écrivant, et de partout. C’est mon point de mire. Il n’y a pas une fleurette, un détail qui ne me rappelle tout ce que nous disions pendant que vous étiez à votre chevalet. » (Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2734).
Le peintre et la romancière avaient en commun l’amour des fleurs : ils aimaient les observer, tant pour leurs couleurs que leur architecture. Lui avait le talent de les peindre, elle de les décrire… Cette toile, intitulée Bouquet de fleurs dans un vase, fut conservée par la romancière jusqu’à la mort du peintre en 1863 ; c’est alors qu’elle la vendit comme bien d’autres œuvres qu’il lui avait données. Ce petit condensé des couleurs du jardin de Nohant pris sur le vif au mois de juillet 1843, est exposé au Musée du Belvédère, à Vienne, en Autriche.
Avant de quitter Nohant pour la capitale, Delacroix confia à George Sand dont les talents en couture ne sont plus à démontrer, son grand béret de peintre afin qu’elle y apporte quelques retouches, comme la promesse qu’ils se reverraient forcément à l’automne à Paris…
Le dernier séjour de Delacroix à Nohant se fit durant l’été 1846 : il y séjourna la dernière quinzaine du mois d’août. Au début du mois, il écrivit à George Sand à quel point il était impatient de les rejoindre : « … avant le 15 je reverrai Nohant qui est dans mon cœur et dans pensée comme un des rares endroits où tout me ravit, me calme et me console… ».
Chopin travailla durant cet été, à une sonate pour piano et violoncelle en collaboration avec un ami à lui, le violoncelliste Auguste Franchomme. Il confia à Delacroix, au moment de son retour sur la capitale, des manuscrits à remettre à Mr Franchomme. Le peintre s’en préoccupa et écrivit à George Sand le 12 septembre, le propos suivant : « …Chopin aura eu sans doute des nouvelles de Mr Franchomme… Je lui ai remis en mains propres le lendemain de mon arrivée le précieux dépôt dont j’étais chargé et pour lequel je redoutais les voleurs en route beaucoup plus que pour mes doublons… ».
Frédéric Chopin écrivit le 30 août 1846 à Auguste Franchomme, au moment où Eugène Delacroix quittait Nohant avec sa précieuse missive : « C’est le plus admirable artiste possible. J’ai passé des moments délicieux avec lui. Il adore Mozart, sait tous ses opéras par cœur… » (Correspondance de Frédéric Chopin, volume 3, lettre n°617).
Eugène Delacroix ne revint pas à Nohant malgré les innombrables invitations réitérées par George Sand à venir l’y rejoindre jusqu’à la mort du peintre. Retenu à Paris par des commandes importantes qu’il se devait d’honorer, indisposé par une santé toujours plus défaillante, il s’excusa de ne pouvoir venir et en exprima souvent le regret, gardant en mémoire les souvenirs heureux des moments passés dans cette campagne où il sut trouver le repos et l’inspiration.
Après la rupture de George Sand et de Chopin, Delacroix comprit mal les motivations de la romancière à exclure le musicien de sa vie et, sans rompre des liens amicaux indéfectibles, il se rapprocha de Frédéric Chopin qu’il continua de fréquenter à Paris.
A Nohant, la présence simultanée de ces trois artistes, qui chacun dans leur domaine de prédilection marquèrent considérablement l’histoire des arts du 19ème siècle, est un miracle. Ils se sont retrouvés au cœur d’une campagne où aucune mondanité, aucune personne indésirable, ne vint les distraire de leurs promenades, de leurs réflexions, de leurs discussions, de leurs tête-à-tête. Ce temps passé ensemble n’avait sûrement pas la même saveur à Paris où tant d’éléments étaient susceptibles de parasiter leur complicité. Chez George Sand, à Nohant, elle s’est faite plus forte que n’importe où ailleurs et s’est inscrite dans leur mémoire.
Vinciane Esslinger
Après la rupture de George Sand et de Chopin, Delacroix comprit mal les motivations de la romancière à exclure le musicien de sa vie et, sans rompre des liens amicaux indéfectibles, il se rapprocha de Frédéric Chopin qu’il continua de fréquenter à Paris.
A Nohant, la présence simultanée de ces trois artistes, qui chacun dans leur domaine de prédilection marquèrent considérablement l’histoire des arts du 19ème siècle, est un miracle. Ils se sont retrouvés au cœur d’une campagne où aucune mondanité, aucune personne indésirable, ne vint les distraire de leurs promenades, de leurs réflexions, de leurs discussions, de leurs tête-à-tête. Ce temps passé ensemble n’avait sûrement pas la même saveur à Paris où tant d’éléments étaient susceptibles de parasiter leur complicité. Chez George Sand, à Nohant, elle s’est faite plus forte que n’importe où ailleurs et s’est inscrite dans leur mémoire.
Vinciane Esslinger
Par George Sand...
Chopin et Delacroix s'aiment, on peut dire tendrement.
Ils ont de grands rapports de caractère et les mêmes grandes qualités de coeur et d'esprit. Mais, en fait d'art, Delacroix comprend Chopin et l'adore. Chopin ne comprend pas Delacroix. Il estime, chérit et respecte l'homme ; il déteste le peintre.
Delacroix plus tarie dans ses facultés apprécie la musique; il la sait et il la comprend; il a le goût sûr et exquis. il ne se lasse pas d'écouter Chopin ; il le savoure ; il le sait par coeur.
Cette adoration, Chopin l'accepté et il en est touché ; mais quand il regarde un tableau de son ami, il souffre et ne peut trouver un mot à lui dire. Il est musicien, rien que musicien. Sa pensée ne peut se traduire qu'en musique, il a infiniment d'esprit, de finesse et de malice; mais il ne peut rien comprendre à la peinture...
George Sand, extrait de Impressions et Souvenirs, page 80 de l'edition originale de 1873.
Dialogue de la caricature, la scéne se situe à Paris.
George Sand. : « allons donc Chop ! Il est six h et demie"
Maurice Sand. : « allons donc ! on est à table »
Solange Sand. : « c'te p'tite horreur ! y s’fait toujours attendre ! »
Frédéric Chopin. : « mé non, mé non, mé non »
George Sand. : « allons donc Chop ! Il est six h et demie"
Maurice Sand. : « allons donc ! on est à table »
Solange Sand. : « c'te p'tite horreur ! y s’fait toujours attendre ! »
Frédéric Chopin. : « mé non, mé non, mé non »
Musée Frédéric Chopin à Varsovie, Pologne.
Une chambre pour Chopin
A leur arrivée à Nohant au début du mois de juin 1839, George Sand offrit à Frédéric Chopin une pièce d’habitation particulièrement agréable.
Situé à l’étage de la grande maison de maître de la romancière, exposé au sud, cet espace n’avait pas pour vocation d’être une chambre, mais une vaste anti chambre, distribuant deux appartements contigus. Accessible directement par le corridor du premier étage, cette anti chambre répondait au volume de la salle à manger, située juste en-dessous, en rez-de-chaussée. Elle était grande d’environ 40 mètres carrés et comptait deux belles fenêtres ouvertes sur les jardins, la route des diligences et la campagne environnante. Elle fut attribuée à Chopin en fonction de deux critères essentiels : son exposition d’une part, car il était inenvisageable d’installer le musicien dans une chambre au nord alors qu’il occupait le lieu pendant six mois et que sa santé fragile venait d’être mise à rude épreuve lors du séjour à Majorque… ; son volume d’autre part, puisque le piano à queue (long de 2 mètres au minimum…) dont Chopin avait absolument besoin pour composer à Nohant, était placé dans la pièce.
D’un côté, au sud-est, la chambre de Chopin était attenante à une autre grande chambre occupée par George Sand elle-même, depuis la séparation de corps et de biens d’avec son époux en 1836 ; elle avait au sein de cette pièce grande d’environ 30 mètres carrés un espace consacré au travail d’écriture. De l’autre côté, au sud-ouest, la chambre de Chopin était contiguë à une chambre plus petite, dotée d’une seule fenêtre, offerte par la maîtresse de maison à ses invités de passage ; la sœur de Chopin et son époux l’occupèrent en août 1844 lors de leur séjour en Berry.
Situé à l’étage de la grande maison de maître de la romancière, exposé au sud, cet espace n’avait pas pour vocation d’être une chambre, mais une vaste anti chambre, distribuant deux appartements contigus. Accessible directement par le corridor du premier étage, cette anti chambre répondait au volume de la salle à manger, située juste en-dessous, en rez-de-chaussée. Elle était grande d’environ 40 mètres carrés et comptait deux belles fenêtres ouvertes sur les jardins, la route des diligences et la campagne environnante. Elle fut attribuée à Chopin en fonction de deux critères essentiels : son exposition d’une part, car il était inenvisageable d’installer le musicien dans une chambre au nord alors qu’il occupait le lieu pendant six mois et que sa santé fragile venait d’être mise à rude épreuve lors du séjour à Majorque… ; son volume d’autre part, puisque le piano à queue (long de 2 mètres au minimum…) dont Chopin avait absolument besoin pour composer à Nohant, était placé dans la pièce.
D’un côté, au sud-est, la chambre de Chopin était attenante à une autre grande chambre occupée par George Sand elle-même, depuis la séparation de corps et de biens d’avec son époux en 1836 ; elle avait au sein de cette pièce grande d’environ 30 mètres carrés un espace consacré au travail d’écriture. De l’autre côté, au sud-ouest, la chambre de Chopin était contiguë à une chambre plus petite, dotée d’une seule fenêtre, offerte par la maîtresse de maison à ses invités de passage ; la sœur de Chopin et son époux l’occupèrent en août 1844 lors de leur séjour en Berry.
Hippolyte Chatiron, le demi-frère de George Sand, présent à Nohant durant la période hivernale quand le couple était retenu à Paris, se chargea d’aménager cette chambre, selon les directives de sa sœur, afin de la rendre toujours plus confortable. La correspondance échangée avec George Sand qui le sollicitait énormément, nous renseigne sur quelques-uns de ces travaux qui devaient être terminés avant l’arrivée du couple en mai ou juin.
A l’automne 1841 (à l’issue du 2ème séjour de Chopin), Hippolyte s’occupa de faire mettre un parquet dans la chambre du musicien en remplacement d’un sol en carreaux de terre cuite, moins chaleureux et confortable qu’un sol en bois. Resté en place, ce parquet diffère des sols des chambres attenantes et donne à voir le volume de cette pièce disparue.
Au printemps 1844 (avant le 4ème séjour de Chopin), Hippolyte s’occupa de faire changer le papier peint de la chambre de Chopin selon les directives de George Sand, car une odeur de colle particulièrement nauséabonde indisposait le musicien. Ce papier avait été posé récemment, mais l’artisan peintre qui s’était occupé de l’installer « avait collé le nouveau papier avec quelque chose qui sentait Montfaucon (lieu réservé à l’équarrissage à Paris…)» selon les propos de George Sand qui préfère refaire faire des travaux et « dépenser 25 francs de papier que de voir Chopin incommodé pendant six mois » (Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2889).
Nous connaissons bien le papier peint qui ornait les murs de cette pièce avant que Chopin ne s’y installe : il date de la fin du 18° siècle et tapissait finalement les murs de cette anti-chambre devenue chambre pour Chopin, depuis l’enfance de George Sand. D’inspiration mythologiques, avec des dominantes de rouge et de bleu, il donne à voir dans des losanges, des pagodes et des animaux fantastiques… Combien de temps le musicien l’a-t-il connu avant que George Sand ne s’inquiète d’en changer ? Nous ne le savons pas ; les papiers peints de remplacement sont difficiles à déterminer…
A l’automne 1841 (à l’issue du 2ème séjour de Chopin), Hippolyte s’occupa de faire mettre un parquet dans la chambre du musicien en remplacement d’un sol en carreaux de terre cuite, moins chaleureux et confortable qu’un sol en bois. Resté en place, ce parquet diffère des sols des chambres attenantes et donne à voir le volume de cette pièce disparue.
Au printemps 1844 (avant le 4ème séjour de Chopin), Hippolyte s’occupa de faire changer le papier peint de la chambre de Chopin selon les directives de George Sand, car une odeur de colle particulièrement nauséabonde indisposait le musicien. Ce papier avait été posé récemment, mais l’artisan peintre qui s’était occupé de l’installer « avait collé le nouveau papier avec quelque chose qui sentait Montfaucon (lieu réservé à l’équarrissage à Paris…)» selon les propos de George Sand qui préfère refaire faire des travaux et « dépenser 25 francs de papier que de voir Chopin incommodé pendant six mois » (Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2889).
Nous connaissons bien le papier peint qui ornait les murs de cette pièce avant que Chopin ne s’y installe : il date de la fin du 18° siècle et tapissait finalement les murs de cette anti-chambre devenue chambre pour Chopin, depuis l’enfance de George Sand. D’inspiration mythologiques, avec des dominantes de rouge et de bleu, il donne à voir dans des losanges, des pagodes et des animaux fantastiques… Combien de temps le musicien l’a-t-il connu avant que George Sand ne s’inquiète d’en changer ? Nous ne le savons pas ; les papiers peints de remplacement sont difficiles à déterminer…
On peut supposer (malgré l’absence de traces écrites) qu’ Hippolyte se chargea également de faire installer les portes capitonnées venant renforcer les portes d’accès à la chambre de Chopin, depuis le corridor. Seuls véritables « vestiges » de la présence du musicien chez George Sand, ces portes battantes sont constituées de deux toiles de coton cloutées sur un châssis de bois, à l’intérieur desquelles se trouve du crin de cheval. Cette installation devait permettre à la chambre de gagner en qualité acoustique, mais également d’assourdir les bruits susceptibles de parasiter la concentration du musicien au travail : on sait qu’il passa énormément de temps dans cette chambre, acculé à composer ce qu’à Paris il n’avait pas le temps de faire, ou bien rédigeant son courrier.
La chambre de Chopin donnait directement sur un couloir de passage et de distribution d’une petite dizaine d’autres chambres toujours occupées, par Maurice, par Solange et les nombreux invités de passage de la maîtresse des lieux. En contre-bas de cette chambre, qui se trouve en haut de l’escalier dont la cage produit une résonance formidable, se trouvent le vestibule (accès principal à la maison depuis la cour d’honneur) et la cuisine…
L’activité domestique chez George Sand étant intense, la maison étant particulièrement occupée par des tas de personnes, on devine que ce capitonnage était le bienvenu et empêchait Chopin d’entendre trop fortement toutes sortes de bruits somme toute bien ordinaires (l’agitation en cuisine, des éclats de voix, des portes que l’on claque, les allées et venues des uns ou des autres, les cloches que l’on sonne pour alerter les domestiques, le claquement des sabots de bois de ces dernières sur les carreaux de terre cuite etc…), mais gênants…
La chambre de Chopin donnait directement sur un couloir de passage et de distribution d’une petite dizaine d’autres chambres toujours occupées, par Maurice, par Solange et les nombreux invités de passage de la maîtresse des lieux. En contre-bas de cette chambre, qui se trouve en haut de l’escalier dont la cage produit une résonance formidable, se trouvent le vestibule (accès principal à la maison depuis la cour d’honneur) et la cuisine…
L’activité domestique chez George Sand étant intense, la maison étant particulièrement occupée par des tas de personnes, on devine que ce capitonnage était le bienvenu et empêchait Chopin d’entendre trop fortement toutes sortes de bruits somme toute bien ordinaires (l’agitation en cuisine, des éclats de voix, des portes que l’on claque, les allées et venues des uns ou des autres, les cloches que l’on sonne pour alerter les domestiques, le claquement des sabots de bois de ces dernières sur les carreaux de terre cuite etc…), mais gênants…
A la lecture des lettres du musicien ainsi qu’à la présence _discrète…_ de quelques éléments matériels encore présents, on devine l’aménagement mobilier de sa chambre. Une cheminée de marbre (comme dans toutes les autres chambres de la maison) se trouvait bien sûr dans la chambre de Chopin ; elle fut supprimée au moment des transformations que George Sand fit opérer dans cette pièce longtemps après. Il est crédible de penser que le piano était alors installé à l’opposé de la cheminée ; à côté du piano, une petite table permettait au maître de passer de la partition au clavier. Grâce à la présence d’un crochet au plafond auquel un ciel de lit était accroché (on ne dort pas sans ciel de lit ou baldaquin au 19ème siècle), on devine que le lit était au centre de la pièce, adossé au mur du couloir. Chopin évoque la présence d’un bureau sur lequel il écrivait ses longues lettres à sa famille restée à Varsovie, ainsi que d’un sofa.
Frédéric Chopin, à Nohant, écrivit le 16 juillet 1845, la lettre suivante à sa sœur Louise, à Varsovie, qui avait été présente à Nohant durant l’été 1844, accompagnée de son époux prénommé Calassante. Le couple occupait alors la petite chambre voisine de celle du musicien (Correspondance de Frédéric Chopin, volume 3, n°587). « Au milieu de la chambre, il y a le bureau sur lequel je vous écris. Dessus, j’ai mis à gauche quelques-uns de mes manuscrits… ; à droite, Chérubini, et devant moi, dans son écrin, la montre à répétition que vous m’avez donnée…, des roses, des œillets et aussi une plume et un morceau de cire à cacheter laissé par Calassante. Je suis toujours d’un pied chez vous et de l’autre dans la chambre voisine où la maîtresse de maison travaille… ».
Toujours dans une lettre écrite à sa sœur le 1er août 1845 (n°589), Chopin a les propos suivants : « … je passe des journées et des soirées entières dans ma chambre. Il faut cependant que je termine certains manuscrits avant de rentrer car il m’est impossible de composer pendant l’hiver… On entend passer les diligences de l’autre côté du jardin. L’une d’elle ne s’arrêtera donc pas pour vous laisser descendre ?... ».
George Sand mit un terme à neuf années de relation avec Frédéric Chopin en juillet 1847. Cette rupture brutale mit également un terme à l’occupation de la chambre du compositeur. Personne d’autre que lui n’occupa cet espace autant de temps, ni avant sa présence à Nohant, ni après…
Toujours dans une lettre écrite à sa sœur le 1er août 1845 (n°589), Chopin a les propos suivants : « … je passe des journées et des soirées entières dans ma chambre. Il faut cependant que je termine certains manuscrits avant de rentrer car il m’est impossible de composer pendant l’hiver… On entend passer les diligences de l’autre côté du jardin. L’une d’elle ne s’arrêtera donc pas pour vous laisser descendre ?... ».
George Sand mit un terme à neuf années de relation avec Frédéric Chopin en juillet 1847. Cette rupture brutale mit également un terme à l’occupation de la chambre du compositeur. Personne d’autre que lui n’occupa cet espace autant de temps, ni avant sa présence à Nohant, ni après…
Jusqu’en 1852, les sources manquent pour bien comprendre comment la pièce évolua juste après leur séparation. Ce qui est certain c’est que George Sand renonça rapidement à la fonction de cette pièce ; vraisemblablement, elle ne fut plus la chambre de personne. Une raison majeure peut l’expliquer : George Sand n’a plus personne à Nohant pour l’occuper ! Rapidement, elle fit de cette immense pièce une salle de travail, y rassemblant les multiples et abondantes ressources intellectuelles, permettant ainsi leur exploitation collective ou individuelle, par les différentes personnes composant son entourage. Cette pièce fut désignée, à la lecture des lettres de George Sand et de ses Agendas, par le terme de « bibliothèque ». Plus tard, en 1861 (cf l’Agenda de cette année-là), la romancière repensa totalement la pièce et la transforma en deux espaces toujours dévolus au travail, en la cloisonnant en deux volumes distincts. Un premier volume baptisé alors « cabinet de travail » fut attribué de manière privative à George Sand et un deuxième volume dénommé « bibliothèque » continuait d’être investi par chacun des occupants de la maison, devenant ainsi salle de lecture.
La cheminée de l’ancienne chambre disparut vraisemblablement à ce moment-là, mais George Sand avait, entre temps, fait installer un système de chauffage central, et une bouche de chaleur permettait de chauffer l’endroit.
La chambre occupée par Chopin au sein de laquelle il composa une très grande partie de son œuvre, n’existe donc plus à Nohant ; elle ne fut toutefois pas détruite de manière de manière subite et irréfléchie par George Sand, mais évolua sur une grosse dizaine d’années, en fonction de ses besoins, de son entourage et de sa manière de vivre.
Vinciane Esslinger
La cheminée de l’ancienne chambre disparut vraisemblablement à ce moment-là, mais George Sand avait, entre temps, fait installer un système de chauffage central, et une bouche de chaleur permettait de chauffer l’endroit.
La chambre occupée par Chopin au sein de laquelle il composa une très grande partie de son œuvre, n’existe donc plus à Nohant ; elle ne fut toutefois pas détruite de manière de manière subite et irréfléchie par George Sand, mais évolua sur une grosse dizaine d’années, en fonction de ses besoins, de son entourage et de sa manière de vivre.
Vinciane Esslinger
La bibliothèque
Ce Chopin est un ange...
Ce Chopin est un ange, par Juliette Greco, édition musique Arion, piano Jean Martin.
Dans cette vidéo, nous apercevons Frédéric Chopin dessin signé George Sand, l’ange peint au plafond de la salle de bain de Nohant par Louis-Eugène Lambert, le salon, et la porte capitonnée de l’ancienne chambre de Frédéric Chopin à Nohant. A Majorque, le piano de Frédéric Chopin, la vue de la cellule de Valldemossa. George Sand par Nadar.
Galerie de dessins représentants Frédéric Chopin
Frédéric Chopin par George Sand
Le génie de Chopin est le plus profond et le plus plein de sentiments et d’émotions qui ait existé. Il a fait parler à un seul instrument la langue de l’infini; il a pu souvent résumer, en dix lignes qu’un enfant pourrait jouer, des poèmes d’une élévation immense, des drames d’une énergie sans égale. Il n’a jamais eu besoin des grands moyens matériels pour donner le mot de son génie. Il ne lui a fallu ni saxophones ni ophicléides pour remplir l’âme de terreur; ni orgues d’église, ni voix humaine pour la remplir de foi et d’enthousiasme. Il n’a pas été connu et il ne l’est pas encore de la foule. Il faut de grands progrès dans le goût et l’intelligence de l’art pour que ses œuvres deviennent populaires. Un jour viendra où l’on orchestrera sa musique sans rien changer à sa partition de piano, et où tout le monde saura que ce génie aussi vaste, aussi complet, aussi savant que celui des plus grands maîtres qu’il s’était assimilés, a gardé une individualité encore plus exquise que celle de Sébastien Bach, encore plus puissante que celle de Beethoven, encore plus dramatique que celle de Weber. Il est tous les trois ensemble, et il est encore lui-même, c’est-à-dire plus délié dans le goût, plus austère dans le grand, plus déchirant dans la douleur. Mozart seul lui est supérieur, parce que Mozart a en plus le calme de la santé, par conséquent la plénitude de la vie.
Chopin sentait sa puissance et sa faiblesse. Sa faiblesse était dans l’excès même de cette puissance qu’il ne pouvait régler. Il ne pouvait pas faire comme Mozart (au reste Mozart seul a pu le faire), un chef-d’œuvre avec une teinte plate. Sa musique était pleine de nuances et d’imprévu. Quelquefois, rarement, elle était bizarre, mystérieuse et tourmentée. Quoiqu’il eût horreur de ce que l’on ne comprend pas, ses émotions excessives l’emportaient à son insu dans des régions connues de lui seul.
George Sand, extrait de l'Histoire de ma vie
Présence de Frédéric Chopin dans Histoire de ma Vie par George Sand, cliquez-ici.
Chopin, jamais sans Pleyel…
A Nohant pendant six mois, Chopin était acculé à composer puisqu’à Paris ses différents obligations ne lui en laissaient ni le temps ni la disponibilité intellectuelle. Il avait besoin pour cela d’un piano à queue (on parle plutôt de piano petit patron, long de 2 mètres ou de grand patron, long de 2,20 mètres). La manufacture Pleyel fit l’effort chaque année, de les lui prêter. La firme, au moment où le musicien polonais s’installe à Paris, est alors en pleine expansion ; elle est gérée par Camille Pleyel, fils du fondateur Ignace Pleyel. Très vite après son installation à Paris, les salons Pleyel qui permettent aux musiciens de se faire connaître tout en démontrant la qualité des pianos, accueillent Chopin. La réputation du compositeur qui va s’approprier ces pianos, et la sociabilité élitiste au centre de laquelle Chopin s’inscrit, vont contribuer de manière évidente, à façonner l’image de marque d’une firme. L’élégance de Chopin, le jeu de Chopin, le milieu aristocratique dans lequel Chopin évolue vont être rapidement associés à la qualité des pianos Pleyel…
Dans ce cadre-là, le musicien bénéficia de quelques avantages matériels, dont la mise à disposition de pianos, en n’importe quel endroit, à Paris, à Majorque, à Nohant ou à Londres, était sûrement le plus pratique et appréciable.
Lors du séjour de George Sand et de Chopin à Majorque, Chopin a désespérément attendu un piano droit embarqué à Marseille mais bloqué en douane à Palma ! Le temps que l’instrument soit récupéré, le couple et les enfants de George Sand s’étaient installés à Valldemosa ; Chopin dut se contenter pour composer la série des 24 préludes d’un piano trouvé sur place qui ne lui convenait pas du tout… Finalement il bénéficia du Pleyel durent un mois seulement. A Marseille, pendant que le compositeur se remettait lentement de ses problèmes de santé contractés à Majorque, George Sand anticipa sur son souhait de pouvoir travailler sur un piano à queue et demanda à Camille Pleyel de faire le nécessaire pour qu’un tel piano soit mis à disposition de Chopin à Nohant au moment de leur arrivée en Berry.
George Sand à Camille Pleyel, depuis Marseille, le 2 avril 1839 (Correspondance de George Sand, tome 25) : «Je compte être en Berry le 1er mai avec Chopin et je désirerais le surprendre agréablement en lui faisant trouver dans sa chambre un de pianos… Je vous prierais de faire faire l’emballage chez vous, à mes frais. Enfin je désirerais que ce fût un piano à queue, car depuis longtemps Chopin joue sur des pianinos et il a soif d’un instrument plus approprié à se forces nouvelles… Voudrez-vous bien, Monsieur, me garder le petit secret de ma surprise… L’adresse pour le piano sera Mme Sand à Nohant, par Châteauroux (Indre). La distance est de 70 lieues, le voyage de 7 jours. »
A leur arrivée à Nohant, plus tard que prévu, aux premiers jours de juin, George Sand accuse réception du piano et remercie Camille Pleyel (Correspondance de George Sand, tome 4, lettre n°1879) : « J’ai l’honneur de vous accuser réception du piano que vous avez bien voulu me confier. Il est très beau et Chopin en a été d’autant plus enchanté qu’il ne s’attendait pas à trouver ce bel instrument dans les déserts du Berry… Le piano est arrivé en très bon état. Il vous sera renvoyé avec les mêmes soins lorsque Chopin retournera à Paris ».
Durant les six autres étés, quasi consécutifs, que Frédéric Chopin passa à Nohant, la firme a fait l’effort, à chaque reprise, de lui prêter un piano à queue pendant cinq à six mois. Le compositeur a su tirer le meilleur parti possible de ces pianos dont les mécaniques étaient toujours plus évolutives et créa ainsi sur ces instruments, dont la réputation conquit le monde en 50 ans, le meilleur de son œuvre. Le nom de Chopin est dès le 19ème siècle étroitement associé au nom de la manufacture, c’est bien évidemment toujours le cas.
George Sand à Camille Pleyel, depuis Marseille, le 2 avril 1839 (Correspondance de George Sand, tome 25) : «Je compte être en Berry le 1er mai avec Chopin et je désirerais le surprendre agréablement en lui faisant trouver dans sa chambre un de pianos… Je vous prierais de faire faire l’emballage chez vous, à mes frais. Enfin je désirerais que ce fût un piano à queue, car depuis longtemps Chopin joue sur des pianinos et il a soif d’un instrument plus approprié à se forces nouvelles… Voudrez-vous bien, Monsieur, me garder le petit secret de ma surprise… L’adresse pour le piano sera Mme Sand à Nohant, par Châteauroux (Indre). La distance est de 70 lieues, le voyage de 7 jours. »
A leur arrivée à Nohant, plus tard que prévu, aux premiers jours de juin, George Sand accuse réception du piano et remercie Camille Pleyel (Correspondance de George Sand, tome 4, lettre n°1879) : « J’ai l’honneur de vous accuser réception du piano que vous avez bien voulu me confier. Il est très beau et Chopin en a été d’autant plus enchanté qu’il ne s’attendait pas à trouver ce bel instrument dans les déserts du Berry… Le piano est arrivé en très bon état. Il vous sera renvoyé avec les mêmes soins lorsque Chopin retournera à Paris ».
Durant les six autres étés, quasi consécutifs, que Frédéric Chopin passa à Nohant, la firme a fait l’effort, à chaque reprise, de lui prêter un piano à queue pendant cinq à six mois. Le compositeur a su tirer le meilleur parti possible de ces pianos dont les mécaniques étaient toujours plus évolutives et créa ainsi sur ces instruments, dont la réputation conquit le monde en 50 ans, le meilleur de son œuvre. Le nom de Chopin est dès le 19ème siècle étroitement associé au nom de la manufacture, c’est bien évidemment toujours le cas.
Les pianos étaient pris en main dans les locaux de la maison Pleyel à Paris par des professionnels du transport ; emballés dans des caisses de bois faites sur mesure, ils étaient calés avec de la paille, les caisses étant cloutées. Leur transport était ainsi optimisé. Un piano, comme n’importe quel objet encombrant, comme les grosses malles de voyage, n’étaient pas transportés en même temps que les voyageurs qui étaient très limités dans le port leurs bagages vu l’exiguïté des voitures. Le « roulage » ou « transport des colis encombrants » s’organisait indépendamment et était l’œuvre de sociétés privées. Le roulage ne suivait que les axes routiers importants, et n’empruntait pas les axes secondaires. L’axe Châteauroux-Montluçon sur lequel se situe la maison de George Sand juste en bord de route, à quelques kilomètres de La Châtre, n’était pas emprunté par les sociétés de roulage parisiennes. Par contre, elles empruntaient l’axe Paris-Limoges-Toulouse (actuel tracé de l’autoroute A 20…) sur lequel est située la ville de Châteauroux ; les colis attendus par George Sand et Chopin étaient donc déposés à Châteauroux avant d’être pris en main par des voituriers ordinaires sur l’axe Châteauroux-Montluçon (actuel tracé de la D 443…). Des amis du couple habitant Châteauroux ou des commissionnaires dont c’était le métier, s’occupaient alors de la transition. Les colis étaient directement déposés aux abords du jardin de la maison de George Sand qui longe la route ; la caisse contenant le piano tant attendu par Chopin était ainsi transportée du jardin à la maison et finissait sa course à l’étage, dans la grande chambre du musicien.
Les lettres de George Sand et Chopin évoquent fréquemment l’attente, l’arrivée, le déballage ou le retour de ces pianos ! Les registres de la Maison Pleyel (propriétés de la Cité de la Musique à Paris, ces documents ont été numérisés et sont consultables sur le site internet de la Cité de la musique), portent la trace des pianos, petit ou grand patron, en acajou ou palissandre, dont le grand compositeur eut l’usage en Berry.
Si Pleyel prêtait l’instrument à Chopin, ce dernier payait les frais de transport de ce « colis encombrant ». Il y avait alors deux tarifs possibles correspondant à deux vitesses possibles : en payant le prix fort, pour un transport « en accéléré », Chopin voyait arriver le piano en quatre à cinq jours ; en payant « en ordinaire », il l’attendait 8 jours… Le prix du transport était déterminé en fonction du poids du colis ; le musicien évoque dans une lettre à un ami, que le prix était de 5 francs (« en accéléré » !) pour un quintal, c’est-à-dire, 100 kilos. Un piano à queue pesant dans ces années-là environ 300 kilos, Chopin payait donc autour de 25 francs pour avoir un piano à sa disposition pendant cinq à six mois ! Cette somme est relativement dérisoire quand on sait que Chopin prenait 20 francs pour une heure de leçon de piano…
Lors du deuxième séjour du musicien à Nohant, durant l’été 1841, le piano arrivé peu de temps après le couple, ne satisfait pas Chopin. En colère, il écrit à son ami et factotum Julien Fontana le 21 juillet : « Va, je te prie, porter cette lettre et parle lui personnellement. Je lui demande de m’envoyer un meilleur piano car le mien n’est pas bon… Fais-moi savoir tout de suite à quel moment Pleyel compte m’envoyer le piano afin que je puisse prendre des dispositions avec le commissionnaire de Châteauroux. Je doute qu’il refuse ou qu’il remette la chose à plus tard. Pourtant s’il en était ainsi, ne lui donne pas de coups de poing mais préviens-moi… » (Correspondance de Frédéric Chopin, volume 3, lettre n° 412). L’instrument arriva début août…
Au départ du musicien pour Paris à l’automne, le piano était évidemment renvoyé à Pleyel ; Chopin ayant l’usage de ces instruments durant cinq à six mois, les aller et retour successifs des pianos durant sept années quasi consécutives étaient donc très valables !
Aucun des pianos sur lesquels Chopin composa à Nohant une majeure partie de son œuvre n’a été, à ce jour, répertorié…
Les lettres de George Sand et Chopin évoquent fréquemment l’attente, l’arrivée, le déballage ou le retour de ces pianos ! Les registres de la Maison Pleyel (propriétés de la Cité de la Musique à Paris, ces documents ont été numérisés et sont consultables sur le site internet de la Cité de la musique), portent la trace des pianos, petit ou grand patron, en acajou ou palissandre, dont le grand compositeur eut l’usage en Berry.
Si Pleyel prêtait l’instrument à Chopin, ce dernier payait les frais de transport de ce « colis encombrant ». Il y avait alors deux tarifs possibles correspondant à deux vitesses possibles : en payant le prix fort, pour un transport « en accéléré », Chopin voyait arriver le piano en quatre à cinq jours ; en payant « en ordinaire », il l’attendait 8 jours… Le prix du transport était déterminé en fonction du poids du colis ; le musicien évoque dans une lettre à un ami, que le prix était de 5 francs (« en accéléré » !) pour un quintal, c’est-à-dire, 100 kilos. Un piano à queue pesant dans ces années-là environ 300 kilos, Chopin payait donc autour de 25 francs pour avoir un piano à sa disposition pendant cinq à six mois ! Cette somme est relativement dérisoire quand on sait que Chopin prenait 20 francs pour une heure de leçon de piano…
Lors du deuxième séjour du musicien à Nohant, durant l’été 1841, le piano arrivé peu de temps après le couple, ne satisfait pas Chopin. En colère, il écrit à son ami et factotum Julien Fontana le 21 juillet : « Va, je te prie, porter cette lettre et parle lui personnellement. Je lui demande de m’envoyer un meilleur piano car le mien n’est pas bon… Fais-moi savoir tout de suite à quel moment Pleyel compte m’envoyer le piano afin que je puisse prendre des dispositions avec le commissionnaire de Châteauroux. Je doute qu’il refuse ou qu’il remette la chose à plus tard. Pourtant s’il en était ainsi, ne lui donne pas de coups de poing mais préviens-moi… » (Correspondance de Frédéric Chopin, volume 3, lettre n° 412). L’instrument arriva début août…
Au départ du musicien pour Paris à l’automne, le piano était évidemment renvoyé à Pleyel ; Chopin ayant l’usage de ces instruments durant cinq à six mois, les aller et retour successifs des pianos durant sept années quasi consécutives étaient donc très valables !
Aucun des pianos sur lesquels Chopin composa à Nohant une majeure partie de son œuvre n’a été, à ce jour, répertorié…
L'éducation de la Vierge par Eugène Delacroix.
Françoise et la Luce mises en scène par Delacroix !
En juin 1842, lors du premier séjour d’Eugène Delacroix à Nohant, Frédéric Chopin fut le témoin privilégié de l’exécution par le grand peintre, peu de temps après son arrivée, d’un tableau à l’huile mettant en scène la mère de la Vierge, sainte Anne, et sa fille. Dans un décor de verdure, devant une rangée de rosiers _la rose étant la fleur emblématique de la Vierge Marie_, sainte Anne tient un livre ouvert sur ses genoux tandis que la Vierge, enfant, est en train de lire sous le regard bienveillant de sa mère. Baptisée l’Education de la Vierge, appelée aussi la Sainte Anne _par George Sand en particulier et le peintre lui-même…_, cette œuvre est présentée au Musée National Delacroix, dans l’atelier de l’artiste attenant au dernier appartement qu’il occupa à Paris, dans le 6ème arrondissement.
Delacroix destinait cette œuvre à la petite église du bourg de Nohant située sur la place du village, sous les fenêtres de George Sand, cette église féodale étant consacrée à sainte Anne. De son côté, Maurice, formé alors à la peinture par Delacroix, réalisa, en même temps que le maître exécutait l’originale, une copie de cette Education de la Vierge. Les lettres écrites par George Sand et Delacroix au moment de l’exécution de ce travail, ainsi que d’autres lettres concernant cette toile écrites postérieurement, nous renseignent précisément sur les circonstances dans lesquelles elle fut accomplie.
Photo : Palette ayant appartenu à Eugène Delacroix. (Musée E.Delacroix, Paris).
En juin 1842, lors du premier séjour d’Eugène Delacroix à Nohant, Frédéric Chopin fut le témoin privilégié de l’exécution par le grand peintre, peu de temps après son arrivée, d’un tableau à l’huile mettant en scène la mère de la Vierge, sainte Anne, et sa fille. Dans un décor de verdure, devant une rangée de rosiers _la rose étant la fleur emblématique de la Vierge Marie_, sainte Anne tient un livre ouvert sur ses genoux tandis que la Vierge, enfant, est en train de lire sous le regard bienveillant de sa mère. Baptisée l’Education de la Vierge, appelée aussi la Sainte Anne _par George Sand en particulier et le peintre lui-même…_, cette œuvre est présentée au Musée National Delacroix, dans l’atelier de l’artiste attenant au dernier appartement qu’il occupa à Paris, dans le 6ème arrondissement.
Delacroix destinait cette œuvre à la petite église du bourg de Nohant située sur la place du village, sous les fenêtres de George Sand, cette église féodale étant consacrée à sainte Anne. De son côté, Maurice, formé alors à la peinture par Delacroix, réalisa, en même temps que le maître exécutait l’originale, une copie de cette Education de la Vierge. Les lettres écrites par George Sand et Delacroix au moment de l’exécution de ce travail, ainsi que d’autres lettres concernant cette toile écrites postérieurement, nous renseignent précisément sur les circonstances dans lesquelles elle fut accomplie.
Photo : Palette ayant appartenu à Eugène Delacroix. (Musée E.Delacroix, Paris).
Arrivé à Nohant depuis quelques jours seulement, Delacroix qui comptait se reposer de la vie harassante qu’il mène à Paris, s’ennuie… Dans une lettre écrite à Nohant le 7 juin 1842, il écrit à son ami Pierret : « A peine installé, j’éprouve que mes projets de ne rien faire ne peuvent pas tenir, et que je m’ennuierais horriblement si je n’entreprenais quelque chose. Je vais m’amuser avec le fils de la maison à entreprendre un petit tableau pour l’église du lieu… Tu vois d’ici que j’ai recours à toi pour l’exécution de tout ceci… ». Delacroix demande à son ami de prier Jenny, sa fidèle servante, de faire prendre chez son fournisseur habituel de peintures, les couleurs dont voici la liste : 8 blanc de plomb, 6 jaune de Naples, 4 ocre jaune, 2 rouge Venise, 1 rouge Van-Dyck, 2 terre verte, 6 laque garance, 2 terre Cassel, 4 noir de pêche, 1 noir d’ivoire, 2 bleu de Prusse, 6 laque Robert n°8.
Une semaine plus tard, le 14 juin 1842, le peintre écrit à un autre fidèle ami : « Quoique je sois dans la situation la plus douce sous tous les rapports, et d’esprit et de corps…, je n’ai pu m’empêcher de penser au travail. Chose bizarre : ce travail est fatiguant, et cependant l’espèce d’activité qu’il donne à l’esprit est nécessaire au corps lui-même. J’ai eu beau prendre la passion du billard, dont je reçois des leçons tous les jours, j’ai beau avoir de bonnes conversations sur tous les sujets qui me plaisent, de la musique que je prends au vol et par bouffées, j’ai éprouvé le besoin de faire quelque chose. J’ai entrepris une Sainte-Anne pour la paroisse, et je l’ai déjà mise en train. J’espère que l’achèvement de cette peinture ne me retiendra pas au-delà du temps que je me suis fixé pour rester ici. Chose bizarre : j’ai fui Paris pour ne pas travailler, et je me remets à travailler ici… ».
Dans une lettre écrite à l’ami Pierret le 22 juin, le peintre explique qu’il eut « toute sorte de gêne pour monter la toile et en tirer parti… » ; si l’on en croit George Sand dans une lettre écrite très postérieurement au moment où elle comptait vendre cette œuvre au meilleur prix, le support qui servit à l’Education de la Vierge n’était effectivement pas une toile classique mais « un coutil de fil destiné à me faire des corsets » !... (Correspondance de George Sand, tome 19, lettre n°12462).
Nous savons que les deux femmes mises en scène par Delacroix dans un coin du jardin de George Sand pour la composition ce tableau, étaient deux de ses domestiques : Françoise Caillaud, gouvernante de la maison de la romancière et sa fille unique prénommée Luce. Il ne faut toutefois pas chercher à voir dans les visages de sainte Anne et de la Vierge les traits des visages de Françoise et de Luce: le peintre n’a pas voulu portraiturer de manière réaliste les deux domestiques, il n’a donc pas peint de manière précise leur faciès. George Sand écrira d’ailleurs à Delacroix l’été suivant, en juin 1843, qu’il doit absolument venir les rejoindre car tout le monde y compte : Chopin, Maurice, «et Françoise qui dit que vous devez achever son portrait ! » (Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2681). Ce double portrait ne nous donne pas à voir les deux femmes ; néanmoins, en incarnant sainte Anne et Marie enfant avec les corps de Françoise Caillaud et de sa fille, Eugène Delacroix offre pour l’éternité une visibilité incroyable à ces deux paysannes anonymes et illettrées de la Vallée Noire!
Une semaine plus tard, le 14 juin 1842, le peintre écrit à un autre fidèle ami : « Quoique je sois dans la situation la plus douce sous tous les rapports, et d’esprit et de corps…, je n’ai pu m’empêcher de penser au travail. Chose bizarre : ce travail est fatiguant, et cependant l’espèce d’activité qu’il donne à l’esprit est nécessaire au corps lui-même. J’ai eu beau prendre la passion du billard, dont je reçois des leçons tous les jours, j’ai beau avoir de bonnes conversations sur tous les sujets qui me plaisent, de la musique que je prends au vol et par bouffées, j’ai éprouvé le besoin de faire quelque chose. J’ai entrepris une Sainte-Anne pour la paroisse, et je l’ai déjà mise en train. J’espère que l’achèvement de cette peinture ne me retiendra pas au-delà du temps que je me suis fixé pour rester ici. Chose bizarre : j’ai fui Paris pour ne pas travailler, et je me remets à travailler ici… ».
Dans une lettre écrite à l’ami Pierret le 22 juin, le peintre explique qu’il eut « toute sorte de gêne pour monter la toile et en tirer parti… » ; si l’on en croit George Sand dans une lettre écrite très postérieurement au moment où elle comptait vendre cette œuvre au meilleur prix, le support qui servit à l’Education de la Vierge n’était effectivement pas une toile classique mais « un coutil de fil destiné à me faire des corsets » !... (Correspondance de George Sand, tome 19, lettre n°12462).
Nous savons que les deux femmes mises en scène par Delacroix dans un coin du jardin de George Sand pour la composition ce tableau, étaient deux de ses domestiques : Françoise Caillaud, gouvernante de la maison de la romancière et sa fille unique prénommée Luce. Il ne faut toutefois pas chercher à voir dans les visages de sainte Anne et de la Vierge les traits des visages de Françoise et de Luce: le peintre n’a pas voulu portraiturer de manière réaliste les deux domestiques, il n’a donc pas peint de manière précise leur faciès. George Sand écrira d’ailleurs à Delacroix l’été suivant, en juin 1843, qu’il doit absolument venir les rejoindre car tout le monde y compte : Chopin, Maurice, «et Françoise qui dit que vous devez achever son portrait ! » (Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2681). Ce double portrait ne nous donne pas à voir les deux femmes ; néanmoins, en incarnant sainte Anne et Marie enfant avec les corps de Françoise Caillaud et de sa fille, Eugène Delacroix offre pour l’éternité une visibilité incroyable à ces deux paysannes anonymes et illettrées de la Vallée Noire!
Frédéric Chopin connaissait bien Françoise et Luce car elles ont fait partie du personnel de la maison de George Sand tout le long de sa présence en Berry. Quand Chopin découvre Nohant, Françoise travaille au château depuis déjà 15 ans. Elle est née à Nohant où elle vit avec sa famille ; elle est entrée au service de George Sand au moment où elle épousa André Caillaud qui lui-même servait George Sand depuis son enfance. Françoise a plusieurs fonctions : cuisinière, femme de chambre, elle veille aussi sur Solange qu’elle a vu naître et grandir. Luce est sa fille unique, dont George Sand est la marraine (il était assez courant que les domestiques choisissent leurs maîtres comme parrains ou marraines de leurs enfants, George Sand fut très souvent désignée). Luce est née la même année que Solange, les deux fillettes ont grandi ensemble dans la grande maison. En 1842, quand Frédéric Chopin vit à Nohant six mois de l’année, Françoise est veuve, situation fort délicate dans les campagnes. Elle est devenue gouvernante de la maison, elle a donc une autorité hiérarchique sur les autres domestiques et des relations privilégiées avec la maîtresse de maison qui lui accorde sa confiance en lui déléguant des responsabilités domestiques importantes et en lui permettant d’occuper sa demeure durant ses longues périodes d’absence hivernales, ce qui n’était pas le cas pour les autres domestiques (hormis le jardinier). Luce est entrée au service de George Sand car elle est en âge d’être louée depuis sa communion ; elle seconde sa mère. George Sand s’applique à lui apprendre à lire et écrire.
Vraisemblablement, Chopin a une estime particulière pour Françoise sans que l’on sache pourquoi précisément ; peut-être était-elle particulièrement attachée à bien le servir. Lors du séjour du musicien à Nohant en 1842 (l’année même où Delacroix peignit l’Education de la Vierge), il avait l’intention d’offrir un présent à Françoise, mais il quitta Paris sans avoir eu le temps de s’en préoccuper. A peine installée à Nohant, George Sand écrit une lettre à une femme de leur connaissance, Marie de Rozières, ancienne élève de Chopin, qui a l’habitude de rendre de nombreux services au couple. George Sand lui demande d’acheter un châle pour Françoise que Chopin souhaite lui offrir ; Françoise étant veuve, la couleur du châle doit être adaptée à sa situation. Quelques jours plus tard, le châle arrive mais il s’avère trop grand pour la gouvernante… George Sand écrit à Marie de Rozières « le châle trop grand pour Françoise est excellent pour moi. Je n’en avais pas et mes autres enveloppes étaient trop lourdes, je m’en suis emparée. Il est souple agréable et très distingué. Chip Chip l’aime beaucoup et le voit avec plaisir sur mes épaules voûtées… » (Correspondance de George Sand, tome 5, lettre n°2454). Finalement, la romancière demande à son amie parisienne d’acheter de quoi faire confectionner à Françoise « une robe de mérinos » ; elle lui précise la quantité d’étoffe nécessaire et lui précise que Chopin est prêt à débourser entre 40 et 50 francs. Cette somme est conséquente : on sait que les gages annuels d’une femme domestique en Berry étaient de 200 à 300 francs, il est donc évident que ce cadeau a une valeur particulière pour Françoise. A la réception du tissu demandé, George Sand remercia Marie en lui précisant que «Chip Chip est satisfait et Françoise a l’estomac coupé de joie ».
A l’automne 1842, alors que George Sand et Chopin sont déjà rentrés à Paris, Françoise fut confrontée à un problème dramatique : sa maison, sise dans le bourg de Nohant, à quelques dizaines de mètres de la demeure de George Sand, fut détruite par un incendie provoqué par un four mitoyen. George Sand confia à son demi-frère Hippolyte Chatiron le soin de faire reconstruire cette maison et lança auprès de ses amis parisiens une souscription permettant le financement des travaux. Elle-même donna la plus grosse participation (120 francs), Chopin participa également à hauteur de 20 francs (Correspondance de George Sand, tome 5, lettre n°2529). A la fin du mois de novembre, Hippolyte écrit à sa sœur que la maison est rebâtie.
Lors du séjour de Chopin à Nohant en 1843, le compositeur assista au remariage de Françoise, en septembre, avec un dénommé Jean Aucante que George Sand intégra alors à son service. Les noces eurent lieu en partie chez elle comme c’était souvent le cas pour les mariages des domestiques de la maison ; on peut même supposer que George Sand paya les noces et la dot de la mariée car elle s’en préoccupa pour certains de ses domestiques. La romancière rapporte à Delacroix, qui avait séjourné chez elle en juillet, que « Françoise est mariée depuis trois jours. Sa noce a duré trois jours et trois nuits, avec toutes les cérémonies du vieil usage fort enjouées et fort curieuses. Je vous ai beaucoup regretté. Il y avait là pour vous mille sujets pittoresques, et de ces tableaux naïfs qu’on n’imagine pas… » (Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2708).
Au printemps 1844, George Sand fit paraître un roman, rédigé à Paris durant l’hiver, dans la revue Le Constitutionnel. Intitulé Jeanne, ayant pour cadre géographique les lieux situés en bord de Creuse visités par George Sand, Chopin et leur entourage durant l’été précédent, ce texte est dédié à Françoise et porte la dédicace suivante : « Tu ne sais pas lire ma paisible amie, mais ta fille et la mienne ont été à l'école. Quelque jour, à la veillée d'hiver, pendant que tu fileras ta quenouille, elles te raconteront cette histoire qui deviendra beaucoup plus jolie en passant par leurs bouches. »
Finalement Françoise et sa famille ne resteront pas beaucoup plus longtemps au service de George Sand… Lors du dernier séjour de Frédéric Chopin à Nohant en 1846, le musicien fut le témoin privilégié et malheureux des dissensions qui opposèrent la maîtresse des lieux à cette gouvernante qu’elle employait depuis longtemps et en laquelle elle avait toute confiance. Au début du mois de mai 1846, alors que Chopin et Maurice sont retenus à Paris, George Sand arrive à Nohant accompagnée de Solange et de Luce car la fille de Françoise avait été prise au service exclusif de Solange et avait donc suivi sa jeune maîtresse à Paris durant l’hiver. George Sand se plaint alors dans une lettre écrite à Maurice le 8 mai, de l’accueil particulièrement étonnant que sa gouvernante lui a réservé… : « à peine arrivée, elle m’a fait une scène de poissarde parce que je lui disais d’aider à la Luce qui était morte de fatigue. Je serai assez contente d’être débarrassée de son mari qui est devenu paresseux depuis sa maladie, et qui se croit mort à chaque fois qu’il éternue, quoiqu’il soit gras et fort comme Quot-Quot… » Précisons que Quot-Quot est un cheval de trait ! George Sand poursuit en écrivant : « Il me paraît qu’elle est lasse de servir et qu’elle désire jouir de la maison que je lui ai donnée, car elle me cherche pouille et me menace de partir à chaque instant. Soit ! je souhaite qu’elle soit heureuse, et moi je le serai beaucoup plus de ne pas voir sa mauvaise humeur. Je garderai la Luce… » (Correspondance de George Sand, tome 7, lettre n°3401). Quelques jours plus tard, George Sand renseigne Maurice (lettre n°3419) sur le fait que Françoise et son mari profitaient de son absence durant les mois d’hiver pour accueillir en sa demeure « parents, amis et connaissances », transformant la demeure de leur maîtresse en « table ouverte » !
Quand Chopin arrive à Nohant à la fin du mois de mai, la décision est prise : George Sand ne renouvellera pas le « contrat » de Françoise et de son mari au 24 juin, puisque c’est traditionnellement à cette date-là, fête de saint Jean, que les engagements entre les maîtres et leurs domestiques étaient pris en Berry. Le musicien qui supportait mal pas les changements relatifs à ses habitudes de vie _ce trait de caractère est souvent souligné par les proches de l’artiste_ ne comprend pas la sévérité de sa compagne qui elle-même ne comprend pas qu’il ne la comprenne pas… Elle écrit le 18 juin à Marie de Rozières que « Chopin est effaré de ces actes tardifs de rigueur. Il ne conçoit pas qu’on ne supporte pas toute sa vie ce qu’on a supporté 20 ans… » (Correspondance de George Sand, tome 7, lettre n°3429).Chopin vécut donc son dernier séjour en Berry sans la présence et les attentions de Françoise.
A l’automne 1842, alors que George Sand et Chopin sont déjà rentrés à Paris, Françoise fut confrontée à un problème dramatique : sa maison, sise dans le bourg de Nohant, à quelques dizaines de mètres de la demeure de George Sand, fut détruite par un incendie provoqué par un four mitoyen. George Sand confia à son demi-frère Hippolyte Chatiron le soin de faire reconstruire cette maison et lança auprès de ses amis parisiens une souscription permettant le financement des travaux. Elle-même donna la plus grosse participation (120 francs), Chopin participa également à hauteur de 20 francs (Correspondance de George Sand, tome 5, lettre n°2529). A la fin du mois de novembre, Hippolyte écrit à sa sœur que la maison est rebâtie.
Lors du séjour de Chopin à Nohant en 1843, le compositeur assista au remariage de Françoise, en septembre, avec un dénommé Jean Aucante que George Sand intégra alors à son service. Les noces eurent lieu en partie chez elle comme c’était souvent le cas pour les mariages des domestiques de la maison ; on peut même supposer que George Sand paya les noces et la dot de la mariée car elle s’en préoccupa pour certains de ses domestiques. La romancière rapporte à Delacroix, qui avait séjourné chez elle en juillet, que « Françoise est mariée depuis trois jours. Sa noce a duré trois jours et trois nuits, avec toutes les cérémonies du vieil usage fort enjouées et fort curieuses. Je vous ai beaucoup regretté. Il y avait là pour vous mille sujets pittoresques, et de ces tableaux naïfs qu’on n’imagine pas… » (Correspondance de George Sand, tome 6, lettre n°2708).
Au printemps 1844, George Sand fit paraître un roman, rédigé à Paris durant l’hiver, dans la revue Le Constitutionnel. Intitulé Jeanne, ayant pour cadre géographique les lieux situés en bord de Creuse visités par George Sand, Chopin et leur entourage durant l’été précédent, ce texte est dédié à Françoise et porte la dédicace suivante : « Tu ne sais pas lire ma paisible amie, mais ta fille et la mienne ont été à l'école. Quelque jour, à la veillée d'hiver, pendant que tu fileras ta quenouille, elles te raconteront cette histoire qui deviendra beaucoup plus jolie en passant par leurs bouches. »
Finalement Françoise et sa famille ne resteront pas beaucoup plus longtemps au service de George Sand… Lors du dernier séjour de Frédéric Chopin à Nohant en 1846, le musicien fut le témoin privilégié et malheureux des dissensions qui opposèrent la maîtresse des lieux à cette gouvernante qu’elle employait depuis longtemps et en laquelle elle avait toute confiance. Au début du mois de mai 1846, alors que Chopin et Maurice sont retenus à Paris, George Sand arrive à Nohant accompagnée de Solange et de Luce car la fille de Françoise avait été prise au service exclusif de Solange et avait donc suivi sa jeune maîtresse à Paris durant l’hiver. George Sand se plaint alors dans une lettre écrite à Maurice le 8 mai, de l’accueil particulièrement étonnant que sa gouvernante lui a réservé… : « à peine arrivée, elle m’a fait une scène de poissarde parce que je lui disais d’aider à la Luce qui était morte de fatigue. Je serai assez contente d’être débarrassée de son mari qui est devenu paresseux depuis sa maladie, et qui se croit mort à chaque fois qu’il éternue, quoiqu’il soit gras et fort comme Quot-Quot… » Précisons que Quot-Quot est un cheval de trait ! George Sand poursuit en écrivant : « Il me paraît qu’elle est lasse de servir et qu’elle désire jouir de la maison que je lui ai donnée, car elle me cherche pouille et me menace de partir à chaque instant. Soit ! je souhaite qu’elle soit heureuse, et moi je le serai beaucoup plus de ne pas voir sa mauvaise humeur. Je garderai la Luce… » (Correspondance de George Sand, tome 7, lettre n°3401). Quelques jours plus tard, George Sand renseigne Maurice (lettre n°3419) sur le fait que Françoise et son mari profitaient de son absence durant les mois d’hiver pour accueillir en sa demeure « parents, amis et connaissances », transformant la demeure de leur maîtresse en « table ouverte » !
Quand Chopin arrive à Nohant à la fin du mois de mai, la décision est prise : George Sand ne renouvellera pas le « contrat » de Françoise et de son mari au 24 juin, puisque c’est traditionnellement à cette date-là, fête de saint Jean, que les engagements entre les maîtres et leurs domestiques étaient pris en Berry. Le musicien qui supportait mal pas les changements relatifs à ses habitudes de vie _ce trait de caractère est souvent souligné par les proches de l’artiste_ ne comprend pas la sévérité de sa compagne qui elle-même ne comprend pas qu’il ne la comprenne pas… Elle écrit le 18 juin à Marie de Rozières que « Chopin est effaré de ces actes tardifs de rigueur. Il ne conçoit pas qu’on ne supporte pas toute sa vie ce qu’on a supporté 20 ans… » (Correspondance de George Sand, tome 7, lettre n°3429).Chopin vécut donc son dernier séjour en Berry sans la présence et les attentions de Françoise.
George Sand se sépara de cette domestique _dont nous perdons trace dans les sources écrites laissées par la romancière_ après 20 ans de services qu’on ne peut toutefois pas qualifier de « bons et loyaux ». La romancière se sentit vraisemblablement trahie par cette femme à laquelle, malgré leur différence notable de statut social et d’éducation, elle avait accordé sa confiance et son estime depuis toujours, ainsi qu’une aide matérielle salvatrice devant les aléas de la vie…
George Sand ne se sépara pas pour autant de la Sainte Anne peint chez elle par Delacroix ; le peintre destinait à l’église de Nohant cette scène religieuse mais c’est la copie de Maurice qui orna pendant longtemps les murs de cette église consacrée à la mère de la Vierge. Venue enrichir il y a longtemps les collections patrimoniales de la Ville de La Châtre, la copie de Maurice est visible au Musée George Sand et de la Vallée Noire.
En juillet 1842, quelques jours seulement après que Delacroix ait quitté Nohant pour Paris, George Sand écrit au peintre dans quel état de nostalgie et de désoeuvrement elle et son fils se trouvent après le long séjour de leur ami et maître : « je me retrempe un peu avec ma sainte Anne et ma petite Vierge. Je les regarde en cachette quand je me sens défaillir, je les trouve si vraies, si naïves, si pures que je me remets au travail… Maurice a été tout imbécile jusqu’à présent. Il n’a rien fait que préparer sa toile pour copier sainte Anne. Il tourne autour et la regarde d’un air penaud, en disant Sapristi ! Sapristi ! Je sais bien ce que cela veut dire. Il voudrait faire et n’ose pas… » (Correspondance de George Sand, tome 5, lettre n°2483).
George Sand ne se sépara pas pour autant de la Sainte Anne peint chez elle par Delacroix ; le peintre destinait à l’église de Nohant cette scène religieuse mais c’est la copie de Maurice qui orna pendant longtemps les murs de cette église consacrée à la mère de la Vierge. Venue enrichir il y a longtemps les collections patrimoniales de la Ville de La Châtre, la copie de Maurice est visible au Musée George Sand et de la Vallée Noire.
En juillet 1842, quelques jours seulement après que Delacroix ait quitté Nohant pour Paris, George Sand écrit au peintre dans quel état de nostalgie et de désoeuvrement elle et son fils se trouvent après le long séjour de leur ami et maître : « je me retrempe un peu avec ma sainte Anne et ma petite Vierge. Je les regarde en cachette quand je me sens défaillir, je les trouve si vraies, si naïves, si pures que je me remets au travail… Maurice a été tout imbécile jusqu’à présent. Il n’a rien fait que préparer sa toile pour copier sainte Anne. Il tourne autour et la regarde d’un air penaud, en disant Sapristi ! Sapristi ! Je sais bien ce que cela veut dire. Il voudrait faire et n’ose pas… » (Correspondance de George Sand, tome 5, lettre n°2483).
George Sand garda la toile de son ami jusqu’au décès de ce dernier puis finit par la vendre à une personne de confiance. A la mort de Delacroix en 1863, son légataire universel _un ami d’enfance_ vendit l’œuvre du peintre aux enchères. George Sand qui possédait une bonne dizaine d’œuvres signées Delacroix se sépara alors de la majeure partie d’entre elles, réservant le bénéfice de cette vente à Maurice. Toutefois, estimant que les prix n’étaient pas assez élevés relativement à leur valeur à ses yeux, elle ne voulut pas se séparer de l’Education de la Vierge en ayant l’impression de la « sacrifier » et s’inquiéta alors auprès d’un ami à elle, Edouard Rodriguez, riche financier philanthrope, de la lui vendre. En février 1866, elle lui explique ses motivations : « Cher ami, pensez à mon tableau. Si vous ne le voulez pas, faites-le moi vendre… les estimateurs et marchands de tableaux à qui je l’ai montré, m’ont dit que dans quelques années, cela vaudrait 30 ou 40 000 francs. Je suis trop vieille et trop pauvre pour attendre et pourtant je n’ai pu me décider à le donner pour un prix très raisonnable qui m’était offert. Il m’en coûte de m’en séparer pour des inconnus, j’en ai presque des remords, car ce tableau a été fait chez moi et pour moi. La toile a été prise dans ma toilette, c’était un coutil de fil destiné à me faire des corsets. Pendant qu’il faisait cette peinture je lui lisais des romans. Ma bonne et ma filleule posaient. Maurice copiait à mesure pour étudier le procédé du maître. Si ce cher souvenir va chez vous, j’en serai consolée, il ne me semblera plus qu’il est profané, puisque vous aussi vous avez connu, compris, aimé ce cher génie. C’est pourquoi je vous ai dit payez-le ce que vous voudrez, et si vous ne le voulez pas et que quelqu’un d’autre en voulût, il faudrait que ce fût quelqu’un qui eût comme vous une religion pour Delacroix… ». Edouard Rodrigues consentit à acheter la Sainte Anne pour 5000 francs (Correspondance de George Sand, tome 19, lettres n°12462 et 12474).
Avant d’entrer dans les collections du Musée National Delacroix où elle se trouve exposée, l’Education de la Vierge fut la propriété de l’écrivain Maurice Genevoix. Cette composition empreinte de piété, de douceur et de bonté, met en scène deux femmes issues d’un milieu paysan particulièrement pauvre, vivant au sein d’une campagne coupée du monde et ignorée des artistes parisiens. Eugène Delacroix a trouvé en ce lieu, auprès de George Sand et de Frédéric Chopin, l’inspiration nécessaire à cette peinture. Il rend ainsi hommage à toutes les figures de femmes berrichonnes, prônant le droit à l’éducation des plus démunis, les femmes, les paysans, pour une possible égalité des chances, thème si cher à George Sand. A la fin de son séjour en 1842, le peintre écrit à un ami avoir assisté à Nohant à « un bal de paysans sur la pelouse du château avec le cornemuseux de l’endroit. Les gens de ce pays offrent un type remarquable de douceur et de bonhommie… Les femmes ont toutes l’air de ces figures douces qu’on ne voit que dans les tableaux des vieux maîtres. Ce sont toutes des sainte Anne ».
Vinciane Esslinger.
Avant d’entrer dans les collections du Musée National Delacroix où elle se trouve exposée, l’Education de la Vierge fut la propriété de l’écrivain Maurice Genevoix. Cette composition empreinte de piété, de douceur et de bonté, met en scène deux femmes issues d’un milieu paysan particulièrement pauvre, vivant au sein d’une campagne coupée du monde et ignorée des artistes parisiens. Eugène Delacroix a trouvé en ce lieu, auprès de George Sand et de Frédéric Chopin, l’inspiration nécessaire à cette peinture. Il rend ainsi hommage à toutes les figures de femmes berrichonnes, prônant le droit à l’éducation des plus démunis, les femmes, les paysans, pour une possible égalité des chances, thème si cher à George Sand. A la fin de son séjour en 1842, le peintre écrit à un ami avoir assisté à Nohant à « un bal de paysans sur la pelouse du château avec le cornemuseux de l’endroit. Les gens de ce pays offrent un type remarquable de douceur et de bonhommie… Les femmes ont toutes l’air de ces figures douces qu’on ne voit que dans les tableaux des vieux maîtres. Ce sont toutes des sainte Anne ».
Vinciane Esslinger.
Frédéric Chopin, un petit chien, une petite valse...
Nohant, été 1846 : un petit chien, une petite valse…
Le séjour de Chopin à Nohant durant l’été 1846 fut marqué par un imprévu… : l’arrivée dans la grande maison de George Sand d’un petit chien qui tint compagnie au grand musicien en agrémentant ses longues heures de travail, jusqu’à son départ pour Paris, à la mi-novembre.
Au mois de juillet 1846, ce chien était alors entre les mains de Marie de Rozières. Cette demoiselle _reçue à Nohant en 1842_ était depuis quelques années dans l’intimité du couple Sand-Chopin pour diverses raisons ; sous-maîtresse à la pension parisienne de Solange, ancienne élève du musicien, elle avait l’habitude de rendre de multiples services au couple. Ce petit chien n’était pas le sien, mais celui de connaissances de George Sand qui, s’engageant à adopter l’animal, l’avait confié à Marie de Rozières _ toujours de bon service…_, en attendant de trouver une solution pour le récupérer ! George Sand qui possédait déjà plusieurs chiens de compagnie à Nohant, se laissa attendrir par le sort de ce toutou qui, malgré une apparence vraisemblablement rebutante car «tondu et laid actuellement », était en réalité «beau dans son espèce et si rare »… (Correspondance de George Sand, tome 7, lettres n°3451 et 3456).
George Sand et Frédéric Chopin étaient alors à Nohant depuis plus d’un mois et ni l’un ni l’autre n’envisageait de faire l’aller-retour pour Paris aussi promptement afin de récupérer l’animal…
Le séjour de Chopin à Nohant durant l’été 1846 fut marqué par un imprévu… : l’arrivée dans la grande maison de George Sand d’un petit chien qui tint compagnie au grand musicien en agrémentant ses longues heures de travail, jusqu’à son départ pour Paris, à la mi-novembre.
Au mois de juillet 1846, ce chien était alors entre les mains de Marie de Rozières. Cette demoiselle _reçue à Nohant en 1842_ était depuis quelques années dans l’intimité du couple Sand-Chopin pour diverses raisons ; sous-maîtresse à la pension parisienne de Solange, ancienne élève du musicien, elle avait l’habitude de rendre de multiples services au couple. Ce petit chien n’était pas le sien, mais celui de connaissances de George Sand qui, s’engageant à adopter l’animal, l’avait confié à Marie de Rozières _ toujours de bon service…_, en attendant de trouver une solution pour le récupérer ! George Sand qui possédait déjà plusieurs chiens de compagnie à Nohant, se laissa attendrir par le sort de ce toutou qui, malgré une apparence vraisemblablement rebutante car «tondu et laid actuellement », était en réalité «beau dans son espèce et si rare »… (Correspondance de George Sand, tome 7, lettres n°3451 et 3456).
George Sand et Frédéric Chopin étaient alors à Nohant depuis plus d’un mois et ni l’un ni l’autre n’envisageait de faire l’aller-retour pour Paris aussi promptement afin de récupérer l’animal…
George Sand trouva néanmoins une solution… La romancière accueillait chez elle à ce moment-là deux amis polonais de Chopin : Albert Grzymala et Laure Czosnowska, qui devaient repartir pour la capitale. Pierre, le domestique de Chopin, raccompagnera les deux amis en question à Paris et au passage, récupérera l’animal tant convoité. George Sand précisa à Marie de Rozières, impatiente de se débarrasser enfin du chien, quel stratagème ils s’apprêtaient à mettre en place afin de ne pas froisser Pierre se voyant obligé de faire 60 heures de route pour un chien… « Chère mignonne, Pierre part demain avec Grzymala et Mme Czosnowska pour aller chercher toutou. Il est censé ne pas aller exprès pour cela, car on craint de blesser son amour-propre. Il croit donc que le principal objet de son voyage est de vous porter un manuscrit de Chopin, lequel manuscrit sera n’importe quel papier blanc… Ne lui remettez le chien qu’au moment de son départ, parce que, logeant dans le square (note pour la compréhension du texte : Square d’Orléans à Paris, adresse commune de Chopin et Sand), j’ai peur qu’il ne le laisse voler. On m’écrit qu’il est vif et impétueux, qu’il est propre, mais qu’il a besoin de sortir plusieurs fois par jour pour ses nécessités parce qu’il est jeune… ». George Sand précisa qu’elle était désolée de n’avoir pas pu récupérer plus tôt ce chien qui embêtait son amie…
Chopin de son côté, se fit complice de l’affaire en écrivant à Mademoiselle de Rozières _ incapable de refuser grand-chose au compositeur…_, le mot suivant, ce qui nous permet d’entrevoir de quel race de chien il s’agit, vraisemblablement un bichon havanais : « Je vous envoie, chère Mlle de Rozières, un manuscrit soi-disant pressé. Vous trouverez du papier de musique blanc à votre usage ; c’est un mensonge, pour que Pierre amène le toutou havanais. Ne le rendez à Pierre que le matin de son départ qui doit être le mercredi 22 à 7 heures et demi… Ayez la bonté de faire tout ce que vous pourrez pour qu’il arrive entier à Mme Sand. Je me fie à votre cœur pour elle… ». (Correspondance de Frédéric Chopin, tome 3).
Le 24 juillet 1846, George Sand écrivait à son amie afin de l’informer de l’arrivée du chien en Berry ; cette lettre nous renseigne sur le caractère enjoué de cette petite boule de poil qui, rebaptisé Marquis, allait bientôt se faire adorer de toute la maisonnée et de Chopin en particulier… « Chère mignonne, Pierre est revenu avec le toutou triomphant et charmant, laid en attendant qu’il soit couvert de sa toison, mais d’une physionomie on ne peut plus drôle et spirituelle et très gracieux dans tous ses petits mouvements. Que vous êtes bonne de l’avoir si bien soigné ! Je ne sais comment vous en remercier… Nous avons déjà fait connaissance depuis hier, nous l’avons emmené déjeuner dans les bois, avec Dib qui joue avec lui de tout son cœur et Briquet qui en a une peur épouvantable. Nous l’avons débaptisé parce que Listo ressemble trop à Liszt, et nous l’appelons tout bonnement Marquis… Il est rageur, hargneux et impertinent. Mais je crois qu’il aime beaucoup ceux qui lui plaisent, et ce matin, il est venu faire une partie de gambades sur mon lit pour me réveiller. Je ne sais de quoi le nourrir, il n’aime rien, et n’a encore daigné accepter qu’un peu de lait et un macaron. Il est trop gras et je ne suis pas fâchée qu’il jeûne un peu… ».
Un mois plus tard, Marquis semble s’être très bien adapté à son nouvel environnement puisque George Sand écrit à Marie de Rozières que son «havanais est ravissant, méchant comme le diable avec les autres chiens. Il met Briquet en fuite, et contraint Dib qui l’aime beaucoup à faire toutes ses volontés. Il a un attachement passionné pour moi… ».
En octobre, un mois environ avant que Chopin ne quitte Nohant pour Paris, le compositeur renseigne sa famille sur la présence de Marquis à ses côtés, dans sa chambre, alors que George Sand et ses proches sont allés faire une promenade en voiture dans les environs de Nohant… «Aujourd’hui le soleil resplendit. On est allé se promener en voiture. Quant à moi, je n’y tenais pas et j’en profite pour vous retrouver. Le petit chien Marquis est resté avec moi. Il est couché sur mon sofa. C’est une créature extraordinaire : son pelage semble en plumes de marabout et il est tout blanc. Mme Sand en prend soin elle-même tous les jours ; il est aussi spirituel qu’un chien puisse l’être. Il abonde en traits originaux tout à fait imprévus, par exemple il refuse de manger ou de boire dans un ustensile doré. Quand on le laisse faire, il renverse ce récipient d’un coup de tête… ». (Correspondance de Frédéric Chopin, volume 3, lettre n°626).
Chopin de son côté, se fit complice de l’affaire en écrivant à Mademoiselle de Rozières _ incapable de refuser grand-chose au compositeur…_, le mot suivant, ce qui nous permet d’entrevoir de quel race de chien il s’agit, vraisemblablement un bichon havanais : « Je vous envoie, chère Mlle de Rozières, un manuscrit soi-disant pressé. Vous trouverez du papier de musique blanc à votre usage ; c’est un mensonge, pour que Pierre amène le toutou havanais. Ne le rendez à Pierre que le matin de son départ qui doit être le mercredi 22 à 7 heures et demi… Ayez la bonté de faire tout ce que vous pourrez pour qu’il arrive entier à Mme Sand. Je me fie à votre cœur pour elle… ». (Correspondance de Frédéric Chopin, tome 3).
Le 24 juillet 1846, George Sand écrivait à son amie afin de l’informer de l’arrivée du chien en Berry ; cette lettre nous renseigne sur le caractère enjoué de cette petite boule de poil qui, rebaptisé Marquis, allait bientôt se faire adorer de toute la maisonnée et de Chopin en particulier… « Chère mignonne, Pierre est revenu avec le toutou triomphant et charmant, laid en attendant qu’il soit couvert de sa toison, mais d’une physionomie on ne peut plus drôle et spirituelle et très gracieux dans tous ses petits mouvements. Que vous êtes bonne de l’avoir si bien soigné ! Je ne sais comment vous en remercier… Nous avons déjà fait connaissance depuis hier, nous l’avons emmené déjeuner dans les bois, avec Dib qui joue avec lui de tout son cœur et Briquet qui en a une peur épouvantable. Nous l’avons débaptisé parce que Listo ressemble trop à Liszt, et nous l’appelons tout bonnement Marquis… Il est rageur, hargneux et impertinent. Mais je crois qu’il aime beaucoup ceux qui lui plaisent, et ce matin, il est venu faire une partie de gambades sur mon lit pour me réveiller. Je ne sais de quoi le nourrir, il n’aime rien, et n’a encore daigné accepter qu’un peu de lait et un macaron. Il est trop gras et je ne suis pas fâchée qu’il jeûne un peu… ».
Un mois plus tard, Marquis semble s’être très bien adapté à son nouvel environnement puisque George Sand écrit à Marie de Rozières que son «havanais est ravissant, méchant comme le diable avec les autres chiens. Il met Briquet en fuite, et contraint Dib qui l’aime beaucoup à faire toutes ses volontés. Il a un attachement passionné pour moi… ».
En octobre, un mois environ avant que Chopin ne quitte Nohant pour Paris, le compositeur renseigne sa famille sur la présence de Marquis à ses côtés, dans sa chambre, alors que George Sand et ses proches sont allés faire une promenade en voiture dans les environs de Nohant… «Aujourd’hui le soleil resplendit. On est allé se promener en voiture. Quant à moi, je n’y tenais pas et j’en profite pour vous retrouver. Le petit chien Marquis est resté avec moi. Il est couché sur mon sofa. C’est une créature extraordinaire : son pelage semble en plumes de marabout et il est tout blanc. Mme Sand en prend soin elle-même tous les jours ; il est aussi spirituel qu’un chien puisse l’être. Il abonde en traits originaux tout à fait imprévus, par exemple il refuse de manger ou de boire dans un ustensile doré. Quand on le laisse faire, il renverse ce récipient d’un coup de tête… ». (Correspondance de Frédéric Chopin, volume 3, lettre n°626).
Durant l’été 1846, Frédéric Chopin composa à Nohant, entre autres compositions, deux valses dont les partitions furent publiées peu de temps après (elles portent le numéro d’opus 64 n° 1 et n°2). Dédiée à la comtesse Delphine de Potocka dont Chopin était très proche, la valse n°1, en ré bémol majeur, a un tempo extrêmement rapide. Jouée entre 1 minute 30 et 2 minutes selon les interprètes, elle fut baptisée par les éditeurs de Chopin la « valse minute ». Elle est également appelée « la valse du petit chien » car plusieurs témoins dans l’entourage du musicien attestent du fait qu’il l’avait lui-même ainsi dénommée, en référence au mouvement rapide d’un petit chien qu’il aurait vu tourner sur lui-même. Sans trace écrite laissée par Chopin concernant ce détail, nous pouvons toutefois imaginer que Marquis, le petit chien facétieux tenant parfois compagnie au musicien, le petit bichon havanais adopté par George Sand à Nohant en juillet 1846 dans des circonstances cocasses, lui ait alors inspiré cette valse si tournoyante… Selon des témoignages oraux, cette valse fut jouée par Chopin lors du dernier concert public qu’il donna à Paris en février 1848.
Ce même été 1846 à Nohant, il semble que le compositeur ait écrit un autre morceau de musique en lien avec les chiens de la maison : le Galop « Marquis ». Publiée à titre posthume sans numéro d’opus, cette composition se résume à 28 mesures notées sur deux portées avec deux mentions autographes : « Gallop Marquis » et « partie Dib ». Dib est le nom d’un autre chien appartenant à George Sand auquel elle fait parfois référence dans sa correspondance, notamment car Marquis et Dib avaient l’habitude de jouer ensemble. Mme Rambeau, auteure de Chopin, l’enchanteur autoritaire, présente ce Galop comme une mise en scène musicale des mouvements et de la drôlerie des jeux des deux chiens.
Chopin quitta Nohant pour Paris à la mi-novembre 1846. George Sand resta en Berry : elle s’y trouvait retenue par les projets de fiançailles de sa fille Solange, ainsi que par la nécessité qu’elle avait d’être présente pour pallier à la misère s’installant dans sa campagne consécutivement à deux années de mauvaises récoltes. Les deux amants séparés s’écrivirent alors pour s’informer de leurs occupations respectives. Dans une lettre écrite par Chopin en réponse à George Sand, il lui demande de remercier Marquis de sa part car le petit chien, intrigué peut-être par l’absence de son maître à Nohant, flairait à la porte de sa chambre vide…
Ce même été 1846 à Nohant, il semble que le compositeur ait écrit un autre morceau de musique en lien avec les chiens de la maison : le Galop « Marquis ». Publiée à titre posthume sans numéro d’opus, cette composition se résume à 28 mesures notées sur deux portées avec deux mentions autographes : « Gallop Marquis » et « partie Dib ». Dib est le nom d’un autre chien appartenant à George Sand auquel elle fait parfois référence dans sa correspondance, notamment car Marquis et Dib avaient l’habitude de jouer ensemble. Mme Rambeau, auteure de Chopin, l’enchanteur autoritaire, présente ce Galop comme une mise en scène musicale des mouvements et de la drôlerie des jeux des deux chiens.
Chopin quitta Nohant pour Paris à la mi-novembre 1846. George Sand resta en Berry : elle s’y trouvait retenue par les projets de fiançailles de sa fille Solange, ainsi que par la nécessité qu’elle avait d’être présente pour pallier à la misère s’installant dans sa campagne consécutivement à deux années de mauvaises récoltes. Les deux amants séparés s’écrivirent alors pour s’informer de leurs occupations respectives. Dans une lettre écrite par Chopin en réponse à George Sand, il lui demande de remercier Marquis de sa part car le petit chien, intrigué peut-être par l’absence de son maître à Nohant, flairait à la porte de sa chambre vide…
Chopin ne revint jamais à Nohant puisque le couple se sépara au début de l’été 1847 ; le musicien ne revit donc jamais Marquis. La valse « du petit chien » est une des valses de Chopin les plus jouées : de nombreux apprentis pianistes (déjà aguerris toutefois…) se confrontent par défi à son rythme molto vivace ! Cette composition laisse le témoignage d’un petit bichon qui réussit à attendrir le grand musicien et dont la vivacité le séduisit au point de lui impulser l’écriture d’une de ses mélodies les plus connues et reconnaissables.
Vinciane Esslinger
Vinciane Esslinger
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